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Page:Cyrano de Bergerac - Les Œuvres libertines, t. 1, éd. Lachèvre, 1921.djvu/250

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L’AUTRE MONDE

et selon que la corde est bandée, le son est hault, à cause qu’elle pousse les Atomes plus vigoureusement ; et l’organe ainsy pénétré en fournit à la fantaisie assez de quoy faire son tableau’; si trop peu, il arrive que nostre mémoire n’ayant pas encore achevé son image, nous sommes contraincts de luy répéter le mesme son, affin que des matériaux que luy fournissent, par exemple, les mesures d’une Sarabande, elle en desrobe[1] assez pour achever le portraict de cette Sarabande. Mais cette opération n’est presque rien ; le merveilleux, c’est lors que par son ministère[2] nous sommes esmeus tantost à la joye, tantost à la rage, tantost à la pitié, tantost à la resverie, tantost à la douleur[3]. Cela se faict. Je m’imagine, si le mouvement que ces petits corps reçoivent rencontre dedans nous d’autres petits corps ^ remuez de mesme sens^, ou que leur propre figure rend susceptibles du mesme esbranlement ; car alors les nouveaux venus excitent leurs hostes à se remuer comme eux ; et, de cette façon, lorsqu’un air violent rencontre le feu de nostre sang, incliné’au mesme bransle, il anime ce feu à se pousser dehors : c’est ce que nous appelions : ardeur de courage. Si le son est plus doux et qu’il n’ayst la force de souslever qu’une moindre flamme plus esbranlée, à cause que la matière est plus volatile, en la promenant le long des nerfs, des membranes et des pertuis de nostre chair, elle excite ce chatouillement qu’on appelle joye. Il en arrive ainsy de l’ébullition des autres passions, selon que ces petits corps sont jettes plus ou moins violemment sur nous, selon le mouvement qu’ilz reçoivent par la rencontre d’autres bransles, et selon ce qu’ilz trouvent à remuer chez nous. Voicy quant à l’oûye.

» La démonstration du toucher n’est pas maintenant plus difficile : de toutte matière palpable se faisant une émission perpétuelle de petits corps" ; à mesure que nous la touchons, il s’en évapore davantage, parce

a) 1657 : prenne. — b) — c) — d) lors que dans ce mouvement, ces petits corps en rencontrent d’autres en nous. — e) façon. — /) il le fait incliner.

1) Depuis : ce miracle procède… « Scilicet isthaec frustula, seu moleculae… disperguntur, ut et servent intcr se mutuam aliquam convenientiam… quaiido vocem cmiltimus, ipsam laleni ex certis quibnsdani spiritualis, subtiiissiniive effluxus frustulis, seu moleculis ad hoc idoneis arliculari, et apj>ulsii ad aureis facto, auditionem ia nobis creare. » ’l’Itiluxopliiae Epicuri Syittagma, de Gassendi, T. III, chap. XIII t Ue uuditu). Nous bornons nos citations de textes du j)lag’iat que Cyrano a fait de la l’itilosopltie d Epicure de Gassendi, mais ses dissertations sur la vue, l’ouïe, le toucher, etc., s( » nt prises dans cet ouvrage. — 2) « Cyrano est tellement convaincu de la nécessité du mouvement de la matière dans tous les faits sensoriels, que d’après lui, le contact n’est i)as suflisant jjour j)roduire la sensation du toucher, aussi il admet, f[ue de toute matière palpable, il se fait une émission perpétuelle de petits corps C est le principe que Gustave Lebon vient d’invoquer tout récemment pour démontrer que la radioactivité n’est pas spéciale au radium, mais bien une propriété générale des corps. Cela revient à dire que lu forme solide n’est qu’un stade de très longue durée, et que la matière se résout continuellement en éther, par dissociations atomiques; on ferme ainsi le cercle des transformations entre la musse pesante et l’élher sidéral, qui peut être la matière unique des 2 » hilosophes, en mcDic, temps que l’on

  1. 1657 : prenne.
  2. n’a rien de si merveilleux que les autres par lesquelles à l’aide du mesme organe.
  3. tantost à la colère ; ici une suite de points indiquant une lacune à combler, il n’y en a pas dans les manuscrits.