et congréganistes menait une rivalité dont les petits étaient l’enjeu, dont la misère, la division et la haine étaient le résultat. Plus de paix possible au village avec l’esprit de parti, plus de liberté, l’abaissement de ceux dont le pain dépendait de la délation, de l’hypocrisie, d’un semblant de conviction.
Cette marquise envoyait aussi son présent de noce : trois religieuses avec vingt mille francs pour une fondation d’école libre à Sonas.
Bref, la petite Annette était comblée ; en revanche, elle comblait les autres. Un jour, dès le début de leurs fiançailles, son tendre et délicat fiancé lui avait mis dans la main avec ces mots : « Pour les pauvres », une bourse en filigranes de la grandeur d’un sac d’un kilog, toute pleine le louis neufs et brillants. Depuis lors, toute la famille plongeait dans ce trésor, et l’or ruisselait comme autrefois.
Entourée, fétée, adulée, Annette n’eut pas, le jour suprême — le jour qui est le port de salut ou l’écueil d’une vie de femme — le jour de son mariage en un mot, Annette n’eut pas une minute pour penser, pour se reprendre, pour descendre en elle-même, aussi cet étourdissement lui laissa sa gaieté, son apparence de joie ; d’ailleurs, le reflet de celle de tous les autres l’inondait, la baignait d’effluves, et elle suivait le courant, vaincue, incapable de réaction. Son chemin était semé de fleurs et elle le suivait.
Quand vint la nuit, pendant l’entrain du bal, elle s’accouda une minute à la rampe de la terrasse dominant l’étang ; la lune se jouait dans les remous, et les étoiles piquaient le fond, les grenouilles, jamais troublées dans leurs ébats, croassaient et… un bras caressant vint enlacer la jeune épouse si doucement, si tendrement, ment, que sans surprise et sans effroi elle se retourna souriante vers son mari.
Ils étaient seuls ! …
La fête, au loin, animait la nuit, le vaste château, éclairé de la base au sommet, était rempli de monde, des valets couraient dans les cours, les écuries, les cuisines. C’était une excitation extrême, un va-et-vient de folie, les paysans dansaient dans une grange.
Et ce côté du parc restait désert, calme, discret.
Elle se retourna vers celui qui allait être son appui pour la vie, elle prit son bras et, très bonne, très vraie :
— Claude, dit-elle, vous êtes bon, j’apprécie toute la noblesse de votre caractère, je vous aime et je vous remercie.
Il l’étreignit, fou de joie, avec un cri de passion d’inoubliable bonheur et ils marchèrent tous deux silencieux le long de l’eau limpide et murmurante.
Ils atteignirent l’extrémité de la terrasse, l’ombre des arbres faisait la nuit, ils pénétrèrent sous la charmille, très heureux d’être seuls, de reposer leur tête bourdonnante de cette journée de fatigue.
Dans les calmes ténèbres, ils allaient toujours, gagnant le pré ; insensiblement le bruit se perdait et, au bord de l’étroite chaussée dominant la vanne de l’étang, Annette exprima un désir.
— Traversons, dit-elle ; vous voyez ce gros chêne, comme une tache noire là-bas ; le jour de ma première communion j’y ai posé dans le creux d’une branche une vierge bénie, toujours je la vénère et la prie, voulez-vous, ce soir, pour la première fois, unir votre prière à la mienne et venir avec moi jusqu’à la rustique chapelle ?
Il consent, heureux de lui plaire, prit les devants pour lui tendre la main.
— Prenez garde, fit-elle, prudente, l’eau est bien profonde ici.
IL eut un indifférent sourire, l’enleva dans ses bras, et d’un bond franchit le passage.
— Ah ! dit-elle, voyez donc mon soulier blanc qui nage, le drôle de petit bateau !
Elle riait, montrait son pied déchaussé, lui alors se pencha, tendit le bras, s’allongea tant qu’il pût et puis… le roseau où son autre main s’accrocha céda tout à coup, et d’un trait il glissa, disparut, l’eau refermée sur lui, sournoise et calme comme si jamais ne fût venu là.
Annette poussa un cri d’épouvante, et, les jambes cassées soudain, la voie étranglée s’évanouit…
Le petit soulier voguait sur l’eau…
Chassés par la chaleur, Raynaut et quelques jeunes gens vinrent fumer au bord de l’étang, riant, sifflant, chantant.
— Tiens, dit l’un, qu’est-ce que ce minuscule berceau qui vogue sur l’eau, y aurait-il un petit Moïse ?
— Bah ! c’est une fleur de nénuphar.
— Oh ! oh ! dit un autre s’arrêtant soudain, vois-tu cette tache blanche là-bas dans le pré, c’est le loup-garou pour sûr, la bête blanche des marais, bigre, les légendes de ma nourrice me reviennent en foule, je me sauve.
Il courut vers la maison, poursuivi des huées.