tout ce qui, sur le navire de l’ordre légal, me domine et me maltraite, — quand ma journée est faite dans l’atelier, quand mon quart est fini sur le pont, je descends nuitamment à fond de cale, je prends possession de mon coin solitaire ; et, là, des dents et des ongles, comme un rat dans l’ombre, je gratte et je ronge les parois vermoulues de la vieille société. Le jour, j’utilise encore mes heures de chômage, je m’arme d’une plume comme d’une vrille, je la trempe dans le fiel en guise de graisse, et, petit à petit, j’ouvre une voie chaque jour plus grande au flot novateur, je perfore sans relâche la carène de la Civilisation. Moi, infime prolétaire, à qui l’équipage, horde d’exploiteurs, inflige journellement le supplice de la misère aggravée des brutalités de l’exil ou de la prison, j’entr’ouvre l’abîme sous les pieds de mes meurtriers, et je passe le baume de la vengeance sur mes cicatrices toujours saignantes. J’ai l’œil sur mes maîtres. Je sais que chaque jour me rapproche du but ; qu’un formidable cri, — le sinistre sauve qui peut ! — va bientôt retentir au plus fort de leur joyeuse ivresse. Rat-de-cale, je prépare leur naufrage ; ce naufrage peut seul mettre fin à mes maux comme aux maux de mes semblables. Vienne la révolution, les souffreteux n’ont-ils pas, pour biscuit, des idées en réserve, et, pour planche de salut, le socialisme !
Page:Déjacque - L’Humanisphère, utopie anarchique.djvu/6
Apparence