Que si, indépendamment de ces raisons, et considérant
la chose en elle-même, on examine lequel
est plus utile, ou que vous soyez maîtres d’accorder
une faveur, aux risques de la laisser tomber
sur un mauvais citoyen, parce qu’on vous aura
surpris ; ou que vous ne soyez pas libres de récompenser
même celui que vous saurez en être digne,
parce que vous n’en aurez pas le pouvoir, on verra
que l’un est beaucoup plus utile que l’autre. Pourquoi ?
c’est qu’en récompensant plus de citoyens
qu’il ne faudrait, vous en exciterez du moins un
certain nombre à vous bien servir, et qu’en ne
récompensant pas ceux même qui en sont dignes,
vous éteindrez dans le cœur de tous le zèle pour
le bien de l’état. De plus, et c’est une nouvelle
raison, si on récompense quelqu’un qui ne le
mérite point, on pourra passer pour faible ; on
passerait pour ingrat, si on négligeait de payer
un service. Or, autant il vaut mieux être taxé de
faiblesse que d’ingratitude, autant il est plus à
propos de rejeter la loi que de la confirmer. Pour
moi, plus j’y réfléchis, plus il me paraît déraisonnable
de priver les bons citoyens de toute
récompense, parce qu’il se rencontre quelques
gens indignes des grâces qu’ils ont obtenues. Car
si, malgré les faveurs réservées au mérite, il est
encore, suivant Leptine, des hommes dépourvus
de tout mérite et qui en sont indignes, que sera-ce
quand on ne gagnera rien à se rendre utile ?
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HARANGUE CONTRE LA LOI DE LEPTINE.