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X, XI.

PROCÈS DE LA COURONNE.

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INTRODUCTION.

Douze ans s’étaient écoulés depuis le procès de l’Ambassade, et la longue lutte de l’éloquence contre le génie des conquêtes s’était terminée par la défaite de Chéronée.

Avant même que les Athéniens eussent rendu les honneurs funèbres à leurs guerriers, et les Thébains consacré la mémoire des leurs par ce beau lion colossal découvert de nos jours[1], Athènes, comme plusieurs autres cités nouvellement asservies, retentissait d’accusations. Parmi les plus véhémentes, se distinguaient celles du sévère Lycurgue contre un négociant fugitif, Léocrate, et contre Lysiclès, général malheureux. « Tu commandais l’armée, ô Lysiclès ! et mille citoyens ont péri, deux mille ont été faits prisonniers ; un trophée s’élève contre la République, la Grèce entière est esclave ! Tous ces malheurs sont arrivés quand tu conduisais nos soldats et tu oses vivre, voir la lumière du soleil, te présenter sur la place publique, toi, monument de honte et d’opprobre pour la patrie[2] ! » Lysiclès fut condamné à mort. L’orateur Hypéride courut aussi risaue de la vie pour avoir fait décréter, dans ce pressant danger, l’affranchissement et l’armement des esclaves. Démosthène fut souvent poursmvi : le plus célèbre et le plus important de ces procès politiques fut celui que lui intenta réellement Eschine, en attaquant un décret qui le couronnait pour son patriotisme. Le second orateur d’Athènes, le chef et le représentant du parti macédonien, avait déposé son accusation depuis huit ans dans les mains de l’Archonte, quelques jours avant les fêtes de Bacchus, où se faisait la proclamation des couronnes. Que s’était-il passé pendant ce délai, dont la prolongation est demeurée un mystère[3] ?

Le monarque absolu qui avait vaincu la Grèce y maintint les formes républicaines : politique adroite, mais qui ne rassura pas entièrement les Athéniens. À la prière de l’Aréopage, ils remirent le commandement militaire à Phocion[4], dont la maxime était : Sois le plus fort, ou l’ami du plus fort. L’achèvement et la réparation des murailles furent confiés à dix citoyens[5] : Démosthène était du nombre. Mais bientôt arriva le jeune Alexandre, avec une mission toute pacifique. Persuadés par l’orateur Démade, un des prisonniers que le vainqueur avait rendus, les Athéniens conclurent la paix. Le traité, en leur ôtant la Chersonèse et quelques possessions maritimes, leur rendait la ville d’Oropos, si souvent disputée aux Thébains. Une ambassade, dont Eschine faisait partie, alla recevoir les serments de Philippe.

Le moment était venu d’exécuter cette guerre nationale des Hellènes contre la Perse, que ce prince méditait depuis longtemps Les victoires navales de Cimon, la brillante expédition d’Agésilas, les combats livrés par les Grecs à la solde de Cyrus le Jeune, montraient combien la conquête de l’Asie serait facile à la Grèce unie et pacifiée. Jason de Phères en avait conçu le projet ; Isocrate, tant qu’il vécut, y poussa Philippe. Ainsi, tout était mûr pour une réaction féconde et providentielle du monde grec sur l’Orient.

Le roi de Macédoine assemble donc un congrès général à Corinthe. Sparte seule n’y envoie pas de représentants, trop faible pour s’opposer à ce dessein, trop fière pour y contribuer. La guerre est votée par acclamations, Philippe élu général l’année même de la mort de Timoléon (Ol. CX, 4 ; 337 avant J.-C.) ; et bientôt, les Macédoniens non compris, 200,000 hommes d’infanterie et 15,000 chevaux sont prêts à marcher. Des États qui pouvaient se défendre avec des forces aussi considérables étaient amenés, par leurs dissensions, à subir le joug de trente mille Macédoniens[6].

Philippe venait d’envoyer Parménion avec des troupes pour faire les premières opérations et protéger la Grèce asiatique, lorsqu’il vit éclater une révolte en Illyrie et des troubles dans son palais. Il pacifia de belliqueuses tribus par une dernière victoire et crut aussi pacifier sa famille par une double fête, où il célébrait la naissance d’un fils, et le mariage de sa fille Cléopâtre avec Alexandre, roi d’Épire. Mais le vainqueur de la Grèce périt à 47 ans, assassiné au milieu de son apothéose, au moment où sa statue était portée en pompe avec celles des douze grands dieux. La vindicative Olympias plaça sur la tête du meurtrier, attaché au gibet, la couronne d’or que la populace athénienne s’était hâtée de décerner au régicide.

Monté sur le trône à 20 ans, la même année que Darius III (Ol. CXI, 1 ; 336), Alexandre défait les Thraces libres au passage du mont Hæmus, les Triballes et leur roi Syrmos au delà de ce mont ; il traverse le Danube, met en fuite les Gètes qui n’osent l’attendre, subjugue divers peuples barbares, et,

  1. Voyage à Athènes et à Constantinople, par Dupré.
  2. Diod. Sic. XVI, 88.
  3. V. l’introd. de Jacobs, p. 441 (1833) ; et Winiewski, Comment. hist., p. 288.
  4. Plutarq. Phoc., 16.
  5. Liban. Argum.
  6. Précis de l’Hist. Anc., par MM. Poirson et Cayx, p. 351.