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PROCÈS DE LA COURONNE.

mon administration seront, au contraire, le premier objet de mon examen. Quant aux injures dont tu as été si prodigue, plus tard, si l’on veut m’entendre, je les rappellerai.

[12] Les crimes dont il m’accuse sont nombreux, et si graves que les lois en punissent quelques-uns avec rigueur, même de mort ; mais son agression a pour bases réelles l’acharnement de la haine, l’insulte, la diffamation, l’invective, toutes les formes de l’outrage. Si ses plaintes, si ses imputations étaient vraies, Athènes serait loin d’avoir assez de supplices pour moi. [13] Sans doute, l’accès près du Peuple, le droit de la parole ne doivent être interdits à personne (06) ; mais monter à la tribune avec un plan arrêté de persécution envieuse, par les Dieux ! cela n’est ni régulier, ni démocratique, ni juste, ô Athéniens ! Quand Eschine me voyait commettre ces énormes crimes d’État que développait à l’instant sa voix théâtrale (07), il devait aussitôt me poursuivre légalement. Si je méritais, à ses yeux, d’être dénoncé comme traître, que ne me dénonçait-il ? que ne me traduisait-il, selon cette forme, à votre tribunal ? Si les lois étaient violées par mes décrets, que n’accusait-il l’infracteur des lois ? Certes, l’homme capable de poursuivre Ctésiphon pour me nuire ne m’aurait point épargné, s’il eût espéré me confondre. [14] Me voyait-il coupable de l’une de ces prévarications que vient d’énumérer le calomniateur, ou de tout autre attentat ? sur chaque point nous avons lois, procédure, justice répressive, châtiments sévères : il pouvait se servir de toutes ces armes contre moi. S’il l’eût fait, s’il eût suivi cette marche, l’accusation actuelle s’accorderait avec sa conduite passée. [15] Mais aujourd’hui, loin de cette voie si droite et si juste, longtemps après avoir esquivé les réfutations en présence des faits, il vient entasser griefs, sarcasmes, invectives, et jouer une comédie ! De plus, c’est moi qu’il accuse, et c’est Ctésiphon qu’il défère en jugement ! Sur tous les points de ce procès, il arbore sa haine contre moi ; et lui, qui ne m’a jamais attaqué de front, vous le voyez chercher à frapper un autre de mort civile ! [16] Or, parmi toutes les raisons qui militent en faveur de Ctésiphon, voici, hommes d’Athènes ! la plus plausible : il fallait vider entre nous deux nos querelles, et n’y point faire trêve, pour diriger nos coups sur un tiers : car c’est le comble de l’injustice.

[17] Par là on peut voir que toutes ces imputations n’ont ni justice ni vérité. N’importe, je veux les examiner en détail, surtout les mensonges qu’il a débités touchant la paix et mon ambassade, en m’attribuant ce qu’il a fait lui-même, de concert avec Philocrate. Mais il convient, il est même nécessaire de vous rappeler, ô Athéniens ! l’état des affaires à cette époque, afin que vous considériez chaque événement dans son rapport avec les circonstances.

[18] La guerre de Phocide allumée (08), non par moi, sans doute, qui n’avais encore pris aucune part au gouvernement, quelles étaient vos dispositions ? Vous désiriez le salut des Phocidiens, quoique coupables à vos yeux. Du côté des Thébains, un revers quelconque eût fait votre joie, car ils avaient mérité votre ressentiment par l’abus de leur bonne fortune à Leuctres. Tout le Péloponnèse était divisé : les ennemis des Lacédémoniens étaient trop faibles pour les renverser, et les chefs que ceux-ci avaient établis dans les villes (09) restaient sans pouvoir. Ces peuples, comme tous les Hellènes, étaient troublés par des querelles interminables. [19] Philippe, témoin de ces maux, qui n’étaient pas secrets, prodigue l’or aux traîtres de chaque pays, remue tous les peuples, les lance les uns contre les autres ; puis, de leurs fautes, de leurs imprudences, il se fait des armes, et grandit pour les écraser tous. Épuisés par une longue guerre, ces Thébains, alors si fiers, aujourd’hui si malheureux (10), allaient évidemment être forcés de recourir à vous, Philippe, pour empêcher cette coalition, offre à vous la paix, à Thèbes un renfort. [20] Qu’est-ce donc qui l’aidait à vous faire donner, presque volontairement, dans le piège ? la lâcheté ou l’aveuglement des autres Hellènes ? ou bien l’un et l’autre ? Ils vous voyaient faire la guerre, une guerre sans fin (11), pour l’intérêt de tous, comme le fait l’a démontré ; et ils ne payaient leur part ni en hommes, ni en argent, ni par aucun secours ! Justement irrités, vous écoutâtes volontiers Philippe.

La paix, accordée dès lors, fut ainsi conclue par la circonstance, non par moi, comme l’a dit ce calomniateur. Cherchez la véritable cause de nos malheurs actuels, vous la trouverez dans les iniquités des hommes vendus à cette paix. [21] Au reste, dans ce fidèle examen, dans ce récit détaillé, la vérité seule est mon but : si des fautes graves parurent dans cette affaire, j’y suis totalement étranger. Le premier qui parla de paix fut Aristodème le comédien. Vint ensuite le rédacteur du décret ; et l’homme qui s’était aussi loué pour une telle œuvre fut Philocrate d’Agnonte, ton complice, Eschine, et non le mien ; non, dusses-tu crever en hurlant ce mensonge ! Ceux qui appuyèrent la motion (je n’examine pas ici leur motif) furent Eubulé et Céphisophon : Démosthène n’y était absolument pour rien.

[22] Malgré des faits si vrais, si bien établis, il