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ÉLÉMENS

sage à pénétrer ses vues. Aussi, tandis que les autres hommes se borneuî aux seulimensque la nature leur a donnés pour leurs semblables, le sage cherche et aperçoit l’union intime de ces sentimens avec son intérêt propre ; il la découvre à ces mêmes hommes qui ne la voyaient pas, et affermit par là les liens qui les unissent.

Il porte une analyse semblable dans les vérités de sentiment qui ont rapport aux matières de goût. Éclairé par une métaphysique subtile et profonde, il distingue les principes de goût généraux et communs à tous les peuples, d’avec ceux qui sont modifiés par le caractère, le génie, le degré de sensibilité des nations ou des individus ; il démêle par ce moyen le beau essentiel d’avec le beau de convention ; également éloigné d’une décision machinale et sans principes, et d’une discussion trop subtile, il ne pousse l’analyse du sentiment que jusqu’oii elle doit aller, et ne la resserre point non plus trop en deçà du champ qu’elle peut se permettre ; il étudie son impression, s’en rend compte à lui-même et aux autres, et quand il a mis, si on peut parler de la sorte, son plaisir d’accord avec la raison, il plaint sans orgueil et sans chercher à les convaincre, ceux qui ont reçu, soit de la nature, soit de l’habitude, une autre façon de sentir.

Puisque la philosophie embrasse tout ce qui est du ressort de la raison, et que la raison étend plus ou moins son empire sur tous les objets de nos connaissances naturelles, il s’ensuit qu’on ne doit exclure des élémens de philosophie qu’un seul genre de connaissances, celles qui tiennent à la religion révélée. Elles sont absolument étrangères aux sciences humaines par leur objet, parleur caractère, par l’espèce même de conviction qu’elles prodni eut en nous. Plus faites, comme l’a remarqué Pascal, pour le cœur que pour l’esprit, elles ne répandent la lumière vive qui leur est propre que dans une âme déjà préparée par l’opération divine ; la foi est une espèce de sixième sens que le Créateur accorde ou refuse à son gré ; et autant que les vérités sublimes de la religion sont élevées au-dessus des vérités arides et spéculatives des sciences humaines, autant le sens intérieur et surnaturel par lequel des hommes choisis saisissent ces premières vérités, est au-dessus du sens grossier et vulgaire par lequel tout homme aperçoit les secondes.

Mais si la philosophie doit s’abstenir de porter une vue sacrilège sur les objets de la révélation, elle peut et elle doit même discuter les motifs de notre croyance. En effet, les principes de la foi sont les mêmes que ceux qui servent de fondement à la certitude historique ; avec cette différence que dans les matières de religion, les témoignages qui en font la base doivent avoir un degré d’étendue, d’évidence et de force, proportionné à l’im-