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MÉMOIRE

DE D’ALEMBERT,

PAR LUI-MÊME.


Jean le Rond d’Alembert, de l’Académie Française, des Académies des sciences de Paris, de Berlin et de Pétersbourg, de la Société royale de Londres, de l’Institut de Bologne, de l’Académie royale des belles-lettres de Suède, et des Sociétés royales des sciences de Turin et de Norwége, est né à Paris, le 16 novembre 1717, de parens qui l’abandonnèrent en naissant : dès l’âge de quatre ans, d’Alembert fut mis dans une pension où il resta jusqu’à douze. Mais à peine avait-il atteint sa dixième année, que le maître de pension déclara qu’il n’avait plus rien à lui apprendre, qu’il perdait son temps chez lui, et qu’on ferait bien de le mettre au collège, où il était capable d’entrer en seconde[1]. Cependant la faiblesse de son tempérament fit qu’on ne le retira de cette pension que deux ans après, en 1730, pour lui faire achever ses études au collège Mazarin ; il y fit sa seconde et deux années de rhétorique, avec assez de succès pour que le souvenir s’en soit conservé dans ce collége. Un de ses maîtres, janséniste fanatique, qui aurait voulu faire de son disciple un des élèves et peut-être un jour un des arc-boutans du parti, s’opposait fort au goût vif que le jeune homme marquait pour les belles-lettres, et surtout pour la poésie latine, à laquelle il donnait tous les momens que lui laissaient les occupations de la classe ; ce maître prétendait que la poésie desséchait le cœur, c’était l’expression dont il se servait ; il conseillait à d’Alembert de ne lire d’autre poème que celui de S. Prosper sur la grâce.

Son professeur de philosophie, autre janséniste fort considéré dans le parti, et de plus cartésien à outrance, ne lui apprit autre

  1. La mémoire de ce maître, qui l’aimait tendrement, lui a toujours été chère ; il a aidé ses enfans dans leurs études, du peu de secours que pouvait lui permettre la fortune très-médiocre qu’il avait alors. D’Alembert a conservé la même reconnaissance pour une femme qui l’avait nourri et élevé jusqu’à l’âge de quatre ans : presque au sortir du collége, il alla demeurer avec elle ; il y resta près de trente années, et n’en sortit qu’en 1765, après une longue maladie, par le conseil de son médecin, qui lui représenta qu’il était nécessaire à sa santé de chercher un logement plus sain que celui qu’il occupait.
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