Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/114

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que la constater ; et il est tout simple que des hommes dont le fanatisme a été dévoilé par des écrivains raisonnables, donnent à ce fanatisme le nom de religion, et à leurs adversaires celui d’impies.

Il faut être juste, monsieur ; le fanatisme n’a aujourd’hui que trop de sujet de montrer de l’humeur, dans l’état de détresse et d’avilissement où il se trouve. Le triomphe de la raison s’approche, non sur le christianisme qu’elle respecte, et qui n’a rien à craindre d’elle, mais sur la superstition et l’esprit persécuteur qu’elle combat avec avantage, et qu’elle est près de terrasser ; sa voix perce de toutes parts, du fond du Nord au centre de l’Italie ; elle pénètre dans les écoles et jusque dans les cloîtres ; elle se fait entendre dans les pays même d’inquisition, du sein desquels nous voyons sortir des ouvrages pleins de profondeur et de lumière. Querelles de religion, despotisme sacerdotal, monachisme, intolérance, tous ces fléaux de l’humanité tombent dans le décri ; le monachisme, entre autres, commence à dépérir sensiblement ; les cloîtres, autrefois si peuplés, s’éclaircissent d’une année à l’autre ; le gouvernement même commence à en sentir l’abus, et les bons citoyens pensent que l’expulsion des Jésuites ne sera pas aussi utile qu’elle le peut être, si elle n’est suivie d’un examen rigoureux des constitutions et du régime des autres ordres.

Je ne sais ce qui résultera de cet examen ; mais ce qui est certain, c’est que jamais peut-être les moines n’ont fourni une plus belle occasion, ou de les détruire, ou de les réprimer. La plupart des ordres religieux, c’est un fait constant, sont agités aujourd’hui par une fermentation intestine et violente qui mine sourdement les uns et qui dévore ouvertement les autres ; nos malheureux moines s’assomment entre eux dans leurs saintes prisons avec les chaînes qu’ils portent, et qu’ils aspirent à voir briser ; les capucins surtout, qui devraient si peu faire parler d’eux, se déchirent avec une fureur qui a éclaté dans le public, fait pour ignorer jusqu’à leur existence ; et leur général, accouru en vain de quatre cents lieues pour remettre l’ordre, a fini par secouer la poussière de ses pieds contre des sujets rebelles. Les bénédictins de St.-Germain-des-Prés ont fait plus ; ils ont demandé par une requête imprimée de ne plus porter un habit qui leur paraît avilissant (ce sont leurs propres termes) ; de ne plus faire maigre, de ne plus se relever la nuit pour chanter matines. Il y avait deux partis à prendre sur cette requête ; celui de l’admettre en s’emparant de leurs biens, et celui de leur laisser leur froc et leurs richesses ; le premier parti pouvait être plus conforme à la politique, mais le second a paru plus reli-