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Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/142

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traité que l’ambassadeur de Cromwel négociait alors auprès d’elle. Cet ambassadeur, qui ne vint à bout de son entreprise qu’avec beaucoup de peine et de temps, se plaignit qu’on ne lui parlait à ses audiences que de philosophie, de divertissemens et de ballets.

De tous les ministres étrangers qui étaient à la cour de Suède, Pimentel, ministre d’Espagne, était celui que la reine aimait le plus. À la première audience qu’il eut de Christine, il se retira sans dire un seul mot, et lui avoua le lendemain qu’il avait été interdit de la majesté qui brillait dans toute sa personne. On peut juger s’il plut. Pimentel, ministre habile, profita de ce premier avantage pour gagner la confiance de la reine, il découvrit bientôt en elle beaucoup d’amour pour la nouveauté, de prévention pour les derniers venus, et de facilité à dire son secret dès qu’elle avait accordé ses bonnes grâces. Mais la faveur de Pimentel, trop utile à l’Espagne, donna à la France et à la Suède même tant d’ombrage, que Christine fut bientôt obligée de le congédier.

Nous voici arrivés, en 1654, au moment où elle abdiqua la couronne. Le dessein qu’elle en avait eu quelques années auparavant se réveilla en elle avec tant de force, que rien ne put l’en dissuader. Il y a apparence que le dégoût pour les affaires, et l’envie d’être libre, furent les principaux motifs qui l’y déterminèrent. Je n’entends toujours que la même chose, disait-elle en parlant des affaires ; je vois bien qu’il faut que je me remette à l’étude et à la conversation des savans. Elle croyait, pour employer une de ses expressions, voir le diable, quand ses secrétaires entraient pour lui faire signer des dépêches ; et l’ennui du gouvernement lui causa une mélancolie si affreuse qu’on appréhenda que son esprit ne s’en affaiblît. Elle écrivit enfin à Chanut sur la résolution qu’elle avait prise. Les discours que sa démarche allait faire tenir ne paraissent pas l’occuper beaucoup. Je ne m’inquiète point, lui écrit-elle, du plaudite ; il est difficile qu’un dessein mâle et vigoureux plaise à tout le monde ; je me contenterai d’un seul approbateur, je me passerai même d’en avoir. Que j’aurai de plaisir à me souvenir d’avoir fait du bien aux hommes ! Pourquoi donc voulait-elle cesser de leur en faire ?

On a parlé fort diversement de l’abdication de Christine ; elle aurait été plus généralement approuvée, sans le mériter peut-être, si la conversion de cette princesse, qui arriva peu de temps après, n’avait animé contre elle les ennemis de l’église romaine. Car en général on est toujours assez porté à louer les souverains qui descendent du trône ; on a si peu d’idées des devoirs immenses