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ÉLOGE

un désordre horrible dont je ne puis m’ernpêcher d’avertir votre majesté Quel est donc, Rose, dit le roi, cet horrible désordre ? C’est, Sire, reprit M. Rose, que je vois des conseillers, des présidens, et autres gens de longue robe, dont la véritable profession n’est pas de haranguer, mais bien de rendre justice au tiers et au qhart, venir vous faire des liarangues sur vos conquêtes, tandis qu’on laisse muets, en si beau sujet de parler, ceux qui font une profession particulière de l’éloquence. Le bon ordre ne voudrait-il pas que chacun fît son métier, et que MM. de l’Académie Française, chargés par leur institution de cultiver le précieux don de la parole, vinssent vous rendre leurs devoirs en ces jours de cérémonie, où votre majesté veut bien écouter les applaudissemens et les cantiques de joie de ses peuples ?… Je trouve, Rose, dit le roi, que vous avez raison ; il faut faire cesser un si grand scandale, et qu’à l’avenir l’Académie Française vienne me haranguer comme le parlement et les autres compagnies supérieures. Avertissez-en l’Académie, et je donnerai ordre qu’elle soit reçue comme elle le mérite. L’académicien qui était alors directeur, continue Charles Perrault, alla, suivi de toute la compagnie en corps, haranguer le roi à Saint-Germain, à la suite du parlement, de la chambre des comptes et de la cour des aides. Elle fut reçue comme ces compagnies. Le grand-maître des cérémonies alla la prendre dans la salle des ambassadeurs, ou elle s’était assemblée, et la mena jusqu’à la chambre du roi, oii le secrétaire d’État de la maison du roi la trouva, et la présenta à sa majesté qui l’attendait. La harangue plut extrêmement, et le roi témoigna de la joie d’avoir appelé l’Académie à cette cérémonie. Elle a continué depuis à s’acquitter de ce devoir dans toutes les occasions qui se sont présentées.

Cet honneur de haranguer le roi comme les cours souveraines, est d’autant plus précieux à la compagnie, qu’elle est la seule Académie qui en jouisse. Aussi l’a-t-elle préféré à toutes les grâces que les autres corps littéraires ont acceptées. Elle s’est contentée d’un simple droit de présence très-modique, et n’est jamais plus satisfaite que lorsqu’un grand nombre d’académiciens vient le partager[1]. Colbert, qui a institué ce droit, voulait le rendre beaucoup plus considérable ; le président Rose, n’étant pas encore membre de la compagnie, et par conséquent très-excusable d’ignorer l’esprit dont elle était animée, appuyait au

1. C’est par ce motif que l’Académie a demandé, il y a quelques années, des vacances qu’elle n’avait pas auparavant, et qu’elle a obtenues. L’absence d’un grand nombre d’académiciens pendant les mois de septembre et d’octobre rendait les assemblées trop peu nombreuses.

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