C’était aux pieds du crucifix que le pieux Sanchez écrivait son abominable et dégoûtant ouvrage ; et on a dit en particulier d’Escobar, également connu par l’austérité de ses mœurs et par le relâchement de sa morale, qu’il achetait le ciel bien cher pour lui-même, et le donnait à bon marché aux autres.
On a vu les succès que les Jésuites avaient su se procurer à la cour de France ; leur progrès était à peu près le même dans presque toutes les cours ; au commencement de ce siècle il n’y avait en Europe aucun prince catholique dont ils ne dirigeassent la conscience, et dont ils n’eussent obtenu les grâces les plus signalées : partout leurs ennemis frémissaient, et partout ils se moquaient de leurs ennemis.
Ils ne bornaient pas leur ambition à l’Europe. Toujours pleins du projet de gouverner, et de gouverner par la religion, ils envoyaient aux Indes et à la Chine des missionnaires, qui y portaient le christianisme pour le peuple, et les sciences profanes pour les princes, pour les grands, et pour les hommes éclairés, que ce moyen pouvait leur rendre favorables.
Arrêtons-nous un moment ici, et examinons plus particulièrement, par quel genre d’enseignement et de doctrine les Jésuites ont su faire de si grands progrès chez les nations chrétiennes et chez celles qui ne l’étaient pas.
La religion que nous professons roule sur deux points, ses dogmes et sa morale. Parmi les dogmes il en est, comme la trinité, la rédemption, la présence réelle, etc., qui en paraissant confondre l’esprit humain, ne lui offrent à croire que des vérités spéculatives en elles-mêmes ; ces sortes de vérités, quelque obscures qu’elles semblent à la raison, et quelque soumission qu’elles en exigent, ne sont pas celles qui trouvent le plus d’opposition dans la multitude ; naturellement portée pour le merveilleux, elle est disposée à adopter aveuglément les erreurs les plus absurdes en ce genre, et à plus forte raison les vérités qui ne sont qu’incompréhensibles, pourvu qu’elles ne contredisent pas ses penchants. Les Jésuites ont donc prêché ces vérités dans toute leur exactitude ; ils sentaient bien qu’ils ne risquaient pas beaucoup. Mais il est d’autres dogmes, comme ceux de la prédestination et de la grâce, qui tiennent à la pratique de la religion, et qui prêchés dans toute leur rigueur à des esprits non préparés, seraient peu propres à faire des prosélytes. Il faut bien se garder, dit le sage et pieux Fleury, d’annoncer d’abord aux infidèles les articles de notre croyance qui pourraient trop les révolter. Supposons un missionnaire qui vienne dire brusquement à des sauvages : Mes enfants, je vous annonce un Dieu que vous ne pouvez sentir dignement sans une grâce spéciale, qu’il