Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toujours les gens raisonnables. On ne riait pas moins de voir que malgré les ordres réitérés donnés à la Sorbonne, de ne plus parler de bulle Unigenitus dans ses cahiers ni dans ses thèses, elle marquât l’attachement le plus opiniâtre à cette bulle, qu’elle avait rejetée si longtemps. Il ne manquait plus, disait-on, à tout ce qui s’était passé d’étrange à ce sujet, que de défendre sans succès à la Faculté de théologie d’enseigner une doctrine qu’on avait eu bien de la peine à lui faire accepter. La philosophie, surtout, riait en silence de toutes ces disparates, et s’amusait de ce nouveau changement de scène, attendant avec patience l’occasion d’en profiter. Ceux d’entre les philosophes qui n’espéraient aucun fruit de ces querelles, prenaient le parti, plus sage encore, de se moquer de tout ; ils voyaient l’acharnement réciproque des jansénistes et de leurs adversaires, avec cette curiosité sans intérêt qu’on apporte à des combats d’animaux, bien sûrs, quoi qu’il arrivât, d’avoir à rire aux dépens de quelqu’un.

Tant de coups réciproquement portés de part et d’autre avec violence, n’allaient pas encore jusqu’aux Jésuites ; occupés d’une part à armer les évêques contre les restes expirants des jansénistes leurs ennemis, et de l’autre à animer sans bruit la cour de France contre les parlements, ils étaient l’âme secrète de toute cette guerre, sans paraître s’en mêler. Mais les jansénistes qui, dans la querelle des sacrements, avaient ou croyaient avoir gagné du terrain, s’enhardissaient peu à peu, semblaient s’essayer à de plus grands coups ; et l’archevêque, leur ennemi, aiguisait sans le savoir, à force de zèle, le glaive dont la société allait être bientôt percée.

Deux fautes capitales que firent alors les Jésuites à Versailles commencèrent à ébranler leur crédit et à préparer de loin leur désastre. Ils refusèrent, par des motifs de respect humain, de recevoir sous leur direction des personnes puissantes qui n’avaient pas lieu d’attendre d’eux une sévérité si singulière à tant d’égards ; ce refus indiscret a contribué à précipiter leur ruine par les mains même dont ils auraient pu se faire un appui ; ainsi ces hommes qu’on avait tant accusés de morale relâchée, et qui ne s’étaient soutenus à la cour que par cette morale même, ont été perdus dès qu’ils ont voulu, même à leur grand regret, professer le rigorisme, matière abondante de réflexions, et preuve évidente que les Jésuites, depuis leur naissance jusqu’à cette époque, avaient pris le bon chemin pour se soutenir, puisqu’ils ont cessé d’être, du moment qu’ils s’en sont écartés.

Dans le même temps qu’ils déplaisaient à la cour par leurs scrupules, ils y déplurent aussi par leurs intrigues. Ils dressè-