Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/87

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leurs brochures, dont vous ignorez jusqu’aux titres que je ne vous apprendrai pas, et que j’ai déjà oubliés moi-même : mais ce que vous trouverez assez plaisant, quoique mes critiques ne le soient guère, c’est la manière dont une de ces brochures débute : Cet ouvrage, dit-on en parlant du mien, est assez véridique sur ce qui concerne les Jésuites ; quelque partisan de la société m’attaquera peut-être à son tour, et commencera, je l’espère, sa critique en cette sorte : Cet ouvrage est assez véridique sur ce qui concerne les jansénistes. Il ne restera plus qu’à réunir les deux jugements ; et de la vérité avouée de chaque moitié de l’ouvrage, il en résultera celle du tout.

Cependant, comme je me pique, monsieur, d’être encore plus véridique sur ce qui concerne les Jésuites, que les jansénistes ne me l’accordent, permettez-moi de revenir ici sur quelques faits qui les regardent, et que je n’ai pas exactement rapportés.

I. J’avais avancé, sur la foi du bruit public, que leur général, ne sachant que faire des nouveaux venus que le Portugal lui envoyait en foule, les avait laissé périr de misère dans les vaisseaux même qui les avaient apportés. Si la chose était vraie, un pareil chef ne mériterait guère de commander une milice si dévouée à ses ordres : mais des personnes dignes de foi, et qui sont sur les lieux, m’assurent que le fait est faux, et que le général a recueilli de son mieux les Portugais expatriés. On ajoute seulement que l’asile qu’il leur a donné l’a mis hors d’état d’en accorder un pareil aux Jésuites français, qui par là se sont trouvés sans refuge. Peut-on s’empêcher, monsieur, de voir avec des yeux de compassion tant de malheureux, parmi lesquels il n’y a peut-être pas vingt coupables ? Les droits de l’humanité arrachent cette réflexion ; mais le genre humain a été condamné pour le péché d’un seul, et la société pour le crime de quelques-uns.

II. Un Français, homme d’esprit, connu avantageusement dans les lettres, et qui paraît avoir beaucoup fréquenté à Rome le feu cardinal Passioneï (Grosley), dit dans ses Observations sur l’Italie et sur les Italiens : Il ne manquait à la belle et nombreuse biblithèque de ce cardinal, que les écrivains jésuites ; il se vantait hautement de n’en avoir aucun. Sur un témoignage si formel et si peu récusable, qui n’aurait cru, comme moi, le fait exactement vrai ? Cependant un savant géomètre m’écrit d’Italie qu’un des premiers livres qu’il ait vu dans la bibliothèque du cardinal, était celui du père Cizati, cité par Newton à l’occasion des comètes. Après cela, fions-nous à l’histoire ; tout ce qu’on peut dire pour concilier les deux faits, c’est qu’apparemment