Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/90

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peine de lèse-majesté, qu’un pareil livre fût enseigné dans nos écoles.

Quoi qu’il en soit, voilà, monsieur, ce que j’ai cru devoir ajouter à mon ouvrage pour y mettre toute l’exactitude possible dans ce qui regarde la société, son état actuel, son régime et ses opinions. Il est quelques autres articles qu’on m’a contestés, mais sur lesquels je n’ai point de rétractation à faire. On avait d’abord voulu nier les assassinats représentés à Rome aux quatre coins de la voûte de l’église de St.-Ignace ; mais le fait est trop public, et consigné dans des ouvrages connus, et notamment dans le tome premier de l’Abrégé de la vie des plus fameux peintres. Il a donc fallu passer condamnation sur ce sujet. On s’est retranché à prétendre que ce sont des rayons de lumière, et non pas des traits de feu, qu’Ignace répand du haut de cette voûte sur les quatre parties du monde. Il fallait donc ôter l’inscription, Ignem veni mittere in terram ; car dans quel dictionnaire latin a-t-on trouvé qu’ignem mittere signifie répandre la lumière et non pas mettre le feu ? D’ailleurs, que voudraient dire, en admettant cette explication, les assassinats représentés aux quatre coins de la voûte ? Que voudraient dire les bêtes féroces, dont j’avais négligé de faire mention dans mon premier récit, et sur lesquelles les quatre parties du monde sont montées pour terrasser l’idolâtrie et l’hérésie aux pieds de S. Ignace ? Est-ce avec cet appareil redoutable qu’on s’annonce quand on ne veut que répandre la lumière et non pas mettre le feu ? et n’est-il pas d’ailleurs trop vrai, pour le malheur de l’Europe chrétienne, que les Jésuites n’ont que trop bien rempli cette devise ?

Croyez, monsieur, que cette devise est toujours la leur, et que s’ils ne l’affichent pas aux voûtes de toutes leurs églises, c’est qu’ils n’osent s’en expliquer à Paris comme à Rome, dans le dix-huitième siècle comme dans les deux précédents. Voici ce que j’ai entendu dire à un Jésuite, assez honnête homme d’ailleurs, et plein de douceur et d’humanité pour tout ce qui n’était pas janséniste ; on lui représentait, dans le temps de notre plus grande fermentation au sujet de refus de sacrements, que nos disputes théologiques, par le trouble qu’elles apportaient au repos des citoyens, pourraient avoir des suites funestes et sanglantes ; hé bien, dit froidement le bon jésuite, où serait le mal, si Dieu jugeait à propos d’employer ce moyen pour faire triompher la religion ? Cette réponse vous fait frémir d’horreur ; cependant ce jésuite, je le répète, avait naturellement l’âme douce et sensible ; et tel est l’effet de l’atrocité scolastique pour pervertir un bon naturel. Je dis de l’atrocité