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Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, III.djvu/522

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Boissy fut de bonne heure averti par la sienne. Quoiqu’il eût d’abord sucé le lait de la satire, il renonça bientôt à ce honteux moyen de vivre, pour se livrer à un genre plus noble et plus digne de ses talens, à celui du théâtre comique : ce travail, en lui interdisant la censure offensante et personnelle, lui permettait la censure générale et piquante de nos ridicules et de nos travers, censure qui, à la vérité, corrige rarement, mais qui ne blesse au moins personne, et dont l’amour-propre de l’auteur peut jouir sans qu’il en coûte à celui des autres. Il donna, dans l’espace d’environ trente années, près de quarante comédies, tant au Théâtre-Français qu’au Théâtre-Italien. On aurait tort de reprocher à un général d’armée qui aurait livré quarante batailles, qu’il en a perdu quelques unes. Boissy ne gagna pas toutes les siennes ; mais il eut beaucoup plus de succès que de disgrâces, et c’en est assez pour mettre à couvert sa gloire dramatique. De ces succès, les uns ont été solides et durables, les autres, plus éclatans peut-être dans les premiers momens, n’ont été que fugitifs et passagers. Il serait pourtant très-injuste de croire que ceux de ses ouvrages qui ont vécu ce que vivent les roses, l’espace d’un matin, aient mérité, par leur propre faiblesse, de n’avoir qu’une fortune éphémère. La plupart sont dignes des applaudissemens qu’ils ont reçus, mais les applaudissemens tenaient en partie à des circonstances locales et momentanées ; ces pièces avaient pour objet, soit de célébrer quelques événemens du jour, chers ou honorables à la nation, soit de fronder quelque folie à la mode, et qui a disparu, soit enfin de saisir quelqu’une de ces bizarreries journalières de nos mœurs, qui fournissent à la plaisanterie une matière facile, mais bientôt épuisée. Tels sont les objets de plusieurs pièces de Boissy, et surtout de la plupart de celles qu’il a données au Théâtre-Italien. Presque toutes furent extrêmement suivies dans leur nouveauté ; mais on ne les verrait plus avec le même plaisir, parce que c’était comme des vaudevilles faits pour le moment, et destinés à passer avec lui. Notre parterre d’aujourd’hui n’entendrait plus finesse à ce qui fut accueilli par le parterre de ce temps-là, très au fait des sottises, bientôt oubliées, qui occupaient alors la nation française, et qui depuis ont fait place à d’autres, oubliées comme elles.

Boissy a travaillé plus solidement pour un théâtre plus sévère ; il a fait, pour la scène française, un grand nombre de comédies, dont plusieurs se voient encore tous les jours : on doit surtout citer avec distinction les Dehors trompeurs, pièce de caractère et d’intrigue tout à la fois, pleine de situations comiques, écrite avec élégance et facilité. On peut la mettre, sinon à côté