Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96
MORCEAUX CHOISIS

découvert son pelit-fils sous les coups ignominieux d’un centurion et d’une troupe d’esclaves, demandant en vain les alimens les plus nécessaires.

On pleurait encore cette mort, lorsqu’on apprit celle d’Agrippine. Après le meurtre de Séjan, l’espérance lui fit prolonger ses jours ; mais ne voyant point la cruauté de Tibère s’adoucir, elle se laissa mourir de faim ; peut-être la priva-t-on d’alimens en publiant qu’elle les avait refusés. L’empereur déchira sa mémoire, l’accusant d’impudicité , d’adultère avec Asinius Gallus, et de n’avoir pas osé lui survivre. Mais Agrippine avide de dominer, et ne voulant point d’égaux, avait renoncé aux vices des femmes pour les passions des hommes.

Défense de Getulicus.

On donnait pour sûre cette lettre de Gétulicus à l’empereur : « Qu’il avait cherché l’alliance de Séjan, non par goût, mais par le conseil de Tibère ; qu’il pouvait se tromper ainsi que le prince ; qu’il n’était pas juste que la même erreur fût sans conséquence pour un seul, et fatale aux autres ; que jusqu’alors fidèle, il continuerait de l’être tant qu’il ne courrait point de risque ; mais qu’un successeur serait pour lui un arrêt de mort ; qu’il proposait à Tibère, comme une espèce de traité, de le laisser dans son gouvernement, et de garder le reste. » Son audace, quoique surprenante, parut vraisemblable, quand on le vit resté seul de la famille de Séjan, et puissant même auprès de Tibère, qui se voyait détesté, affaibli par l’âge, et plus maître en apparence qu’en effet.

Mort de Fulcinius Trion.

J’ai écrit de suite l’histoire de deux campagnes, pour me soulager du spectacle de nos maux domestiques ; car, quoique Séjan fût mort depuis trois ans, Tibère n’était ni rassasié de supplices, ni adouci comme les autres hommes par le temps et les prières ; les fautes oubliées ou mal prouvées étaient punies comme graves et récentes. Fulcinius Trion s’étant donné la mort par la crainte des délateurs, fit un testament rempli d’invectives contre Macron et les principaux affranchis de l’empereur ; il reprochait à Tibère même sa caducité, et sa longue absence comme un exil. Tibère obligea les héritiers à rendre ce testament public, soit pour se montrer favorable à la liberté et insensible à son déshonneur, soit qu’ayant long-temps ignoré les crimes de Séjan, il saisît tous les moyens de les dévoiler, et de connaître au moins par des satires la vérité que la flatterie cache toujours.