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DE TACITE.

l’empereur, qui, sentant l’atrocité de son crime, en espérait le pardon, en s’attachant par des grâces les personnes accréditées. Pour Agrippine, aucun présent ne put l’adoucir : elle embrassait Octavie[1], et tenait de fréquens conseils avec ses confidens ; naturellement avare, elle amassait, de tous côtés de l’argent, comme pour s’en servir au besoin ; caressait les centurions et les tribuns, accueillait les hommes de mérite qui restaient encore parmi les nobles, semblait enfin chercher un parti et un chef : Néron en étant instruit, lui ôta la garde romaine qu’elle avait eue d’abord comme épouse et ensuite comme mère du prince, et la garde germaine qu’on y avait jointe par honneur. Pour la priver de sa cour il se sépare d’elle et la fait passer dans la maison qu’avait habitée Antonia. Il n’allait l’y voir qu’environné de centurions, l’embrassait froidement et la quittait.

Rien au monde n’est moins assuré et moins durable qu’un pouvoir qui n’a qu’un appui étranger. Agrippine fut abandonnée à l’instant. Personne ne la consola, personne ne la vit, excepté quelques femmes, soit par attachement, soit par haine.

Discours d’Agrippine accusée par Silana d’avoir voulu détrôner Néron.

Néron effrayé, et pressé de faire mourir sa mère, ne différa que sur la parole de Burrhus, qu’elle périrait si elle était convaincue ; mais qu’il devait à tout citoyen, encore plus à une mère, la liberté de se défendre ; qu’elle n’avait point d’accusateurs, mais un délateur unique, organe d’une famille ennemie...

Ce discours calma Néron ; dès qu’il fut jour, il envoie dire à Agrippine qu’elle est accusée, et doit se justifier ou être punie. Burrhus portait l’ordre ; Sénèque l’accompagnait, et quelques affranchis étaient présens pour épier la réponse. Burrhus exposa l’accusation, nomma les délateurs, et prit un ton menaçant. Agrippine, toujours fière, répondit : « Je ne m’étonne point que Silana, qui n’a jamais eu d’enfans, ignore les sentimens de mère ; on ne change pas de fils comme d’amans. Parce qu’Iturius et Calvisius, après s’être ruinés, servent, pour dernière ressource, cette vieille débauchée par leurs délations, dois-je être chargée d’un parricide infâme, ou Néron en subir les remords (105) ? Je remercierais Domitia[2] de me haïr, si elle. disputait avec moi de tendresse pour mon fils ; mais elle in-

  1. Sœur de Britannicus.
  2. Tante de Néron, et sœur de Domitius, premier mari d’Agrippine. Elle avait trempe dans l’accusation intentée contre Agrippine par Silana.