familles illustres, Pison, par des qualités réelles ou apparentes, s’était fait un nom parmi le peuple. Servant les citoyens de son éloquence, libéral envers ses amis, honnête et affable pour les indifférens même, il possédait jusqu’aux dons du hasard, une figure agréable et une taille avantageuse ; mais, déréglé dans ses mœurs et dans ses plaisirs, il s’abandonnait à la mollesse, à la dépense, et quelquefois au luxe. Il n’en était que plus cher à la multitude, à qui la douceur du vice fait haïr un maître austère et rigoureux.
Ce ne fut point l’ambition du chef qui donna naissance à la conjuration ; il est même difficile de démêler, parmi tant de complices, le premier instigateur. Les plus ardens, à en juger par leur mort courageuse, furent Subrius Flavius, tribun d’une cohorte prétorienne, et Sulpicius Asper, centurion ; le poëte Lucain, et Plautius Latéranus, consul désigné, s’y portèrent avec une haine violente ; Lucain, par ressentiment contre Néron, qui le privait de sa gloire de poëte (132), lui défendant, par jalousie, de publier ses vers ; Latéranus, sans motif de vengeance, mais par amour pour l’État. Les sénateurs Flavius Scevinus et Afranius Quintianus entrèrent les premiers dans ce terrible complot, contre l’idée qu’on avait d’eux ; car Scevinus, énervé par le luxe, était comme engourdi dans le sommeil. Quintianus, livré à des débauches infâmes, et déchiré par Néron dans une satire, cherchait à se venger.
Les discours qu’ils tenaient entre eux et leurs amis sur les crimes de Néron, sur la chute prochaine de l’Empire, et la nécessité de faire un choix pour le relever, attirèrent bientôt Tullius Sénécion, Cervarius Proculus, Vulcatius Araticus, Julius Tigurinus, Munatius Gratus, Antonius Natalis, Martius Festus, chevaliers romains. Sénécion s’exposait le plus, comme courtisan de l’empereur, et feignant encore de l’aimer ; Natalis était le confident de Pison : l’espérance d’un changement animait les autres. Outre Subrius et Sulpicius, que j’ai nommés, d’autres hommes de guerre s’y joignirent, Granius Silvanus et Statius Proximus, tribuns des cohortes prétoriennes ; Maximus Scaurus et Paulus Venetus, centurions. Mais les conjurés mettaient leur principale force dans Fenius Rufus, préfet du prétoire, qui jouissait de l’estime publique ; Tigellinus, plus cher à l’empereur par sa cruauté et ses débauches, le noircissait auprès de Néron, à qui même il le faisait craindre, comme ayant été l’amant d’Agrippine, et désirant de la venger. Assurés d’un tel complice par sa propre bouche, les conjurés pensèrent au temps et au lieu de l’exécution. On assurait que Subrius Flavius s’était offert de poignarder Néron lorsqu’il chanterait sur le théâtre,