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Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/134

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Sénèque, sans se troubler, demande à finir son testament (135) ; le centurion l’ayant refusé, il se tourne vers ses amis et leur dit : « Que puisqu’on l’empêchait de leur témoigner sa reconnaissance, il leur laissait le seul bien, mais le plus précieux qui lui restât, l’image de sa vie ; que le souvenir qu’ils en conserveraient honorerait leurs sentimens et rendrait leur amitié mémorable. » Ils fondent en larmes : Sénèque tantôt les console, tantôt leur reproche leur faiblesse, en leur demandant avec fermeté : « Qu’étaient devenus les préceptes de la sagesse, et les réflexions qui depuis tant d’années avaient dû les prémunir contre ce qui les menaçait ? Si la cruauté de Néron n’était pas trop connue, et si, après avoir tué sa mère et son frère, il ne lui restait pas à y joindre le meurtre de son gouverneur et de son maître ? »

Après ces discours généraux, il embrasse son épouse, et son courage faisant place à la tendresse, il la conjure de modérer sa douleur, d’y mettre des bornes, et de chercher dans le souvenir de la vie et des vertus de son époux un soulagement honorable au malheur de le perdre. Pauline répond qu’elle veut aussi mourir, et demande l’exécuteur. Sénèque ne voulant pas lui ravir cette gloire, et craignant d’ailleurs de laisser ce qu’il aimait en butte aux outrages : « Je vous montre, lui dit-il, ce qui peut vous adoucir la vie ; vous préférez l’honneur et l’exemple de mourir ; je ne vous l’envierai point : périssons tous deux avec un égal courage, et vous avec plus de gloire que moi. » Aussitôt ils se font ouvrir les veines des bras. Sénèque, qui, affaibli par la vieillesse et par un régime austère, ne perdait son sang qu’avec lenteur, se fait aussi couper les veines des jarrets et des jambes. Souffrant alors des douleurs cruelles, et craignant d’accabler son épouse par le spectacle de ses maux, ou d’être accablé lui-même par la vue de son épouse mourante, il l’engage à passer dans une autre chambre ; et toujours éloquent jusqu’au dernier soupir, il fit appeler des secrétaires à qui il dicta ces paroles si connues, auxquelles je m’abstiens de toucher.

Néron n’ayant aucun sujet de haïr Pauline, voulut empêcher une mort qui rendait sa cruauté trop odieuse. Des soldats pressent les esclaves et les affranchis d’arrêter son sang et de bander ses plaies ; on ne sait si elle s’en aperçut : car, comme on croit aisément le mal, on prétendit que tant qu’elle avait cru Néron implacable, elle avait cherché l’honneur de mourir avec son mari ; mais que des espérances plus favorables lui étant offertes, elle avait cédé a la douceur de vivre. Elle vécut encore quelques années, conservant avec honneur le souvenir de son époux, et