Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/151

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veler une guerre longue, cruelle, funeste aux vaincus et aux vainqueurs ; mais Othon avait résolu de la terminer.

« Exposer plus long-temps, leur dit-il, votre zèle et votre courage, ce serait mettre un trop grand prix à ma vie. Plus vous me montrez d’espérance, si je veux vivre, plus ma mort sera belle. Nous nous sommes éprouvés la fortune et moi ; et ne croyez pas que cette épreuve ait trop peu duré ; il n’en était que plus difficile d’user modérément d’un bien que je m’attendais à perdre. C’est Vitellius qui a commencé la guerre civile ; c’est la première fois que nous combattons pour l’Empire ; ce sera la dernière : donnons à l’univers cet exemple : que la postérité juge par-là d’Othon. Vitellius jouira de son frère, de son épouse, de ses enfans. Pour moi, je n’ai besoin ni de consolation, ni de vengeance. D’autres princes auront régné plus long-temps ; aucun n’aura mieux fini. Pourrais-je voir une si brillante armée, l’élite de la jeunesse romaine, immolée de nouveau et enlevée à la république ? J’emporte en mourant l’espérance que vous m’auriez sacrifié vos jours (160). Mais vivez, et ne nous opposons plus, moi à votre conservation, vous à mon courage. C’est une espèce de lâcheté que de parler long-temps de sa mort. Jugez, puisque je ne me plains de personne, si je suis résolu de finir ; car c’est quand on veut vivre qu’on se plaint des dieux ou des hommes. »

Après ce discours, il entretint avec douceur ses officiers, chacun selon sa dignité et son âge, ordonna aux plus jeunes, et conjura les vieillards de le quitter promptement pour ne point aigrir le vainqueur : sa tranquillité et sa fermeté leur reprochaient des larmes inutiles ; il leur fit donner des vaisseaux et des voilures pour leur retraite ; brûla des écrits injurieux à Vitellius ou flatteurs pour lui ; distribua de l’argent, mais sans profusion, comme s’il n’eût pas résolu de mourir. Consolant ensuite Salvius Cocceianus, fils de son frère, dont l’extrême jeunesse aissait voir sa douleur et sa crainte, il loua l’une et lui reprocha l’autre. « Croyez-vous (161), lui dit-il, que Vitellius, dont j’ai conservé toute la famille, soit assez ingrat et assez cruel pour ne pas vous épargner ? Ma prompte mort adoucira le vainqueur. Ce n’est point en désespéré, c’est à la tête d’une armée qui veut combattre que j’épargne à la république le coup mortel. La gloire de mon nom suffit à mes descendans et à moi. J’ai porté dans une famille peu ancienne la couronne des Jules, des Claudes et des Servius. Supportez-donc la vie avec courage et n’oubliez jamais que vous fûtes neveu d’Othon, mais sans trop vous en souvenir (162) »

S’étant retiré après ce discours, il se fit apporter deux poi-