Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/162

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Les Ariens noircissent leurs boucliers, barbouillent leur corps ; l’ennemi ne peut soutenir ce spectacle nouveau et comme infernal, car, dans un combat, les yeux sont toujours vaincus les premiers.

Les Suions honorent les richesses ; c’est pour cela qu’ils ont un maître.

Les Sitons, semblables aux Suions leurs voisins, n’en diffèrent qu’en ce qu’ils obéissent à une femme : tant ils dégénèrent, non-seulement de la liberté, mais de la servitude même !

Les Fenniens, très-féroces et très-pauvres, sans armes, sans chevaux, sans maisons, ont l’herbe pour nourriture, des peaux pour vêtemens, la terre pour lit. Des flèches, que, faute de fer, ils arment d’un os pointu, sont toute leur défense. La chasse nourrit les hommes et les femmes ; car elles y vont avec eux, et partagent le gibier. Les enfans n’ont d’autre refuge contre la pluie ou les bêtes féroces que des cabanes faites de branches d’arbres ; c’est aussi la retraite des jeunes gens, et l’asile des vieillards. Ils s’y trouvent plus heureux que de gémir dans un champ (171) ou dans une maison sous le poids du travail, de tourmenter, par la crainte et par l’espérance, sa fortune (172) et celle d’autrui. En sûreté contre les hommes et les dieux, ils sont parvenus à ce rare avantage de n’avoir pas même de vœux à faire.

PREFACE DE LA VIE D’AGRICOLA.

Nos pères transmettaient à la postérité les actions et le caractère des grands hommes : notre siècle, quoique peu sensible à ce qui l’honore, a conservé cet usage en faveur de quelques vertus du premier ordre, supérieures à l’ignorance et à l’envie, vices des grands et des petits États. Comme nos ancêtres avaient plus de zèle et de liberté pour les belles actions, ce n’était ni la flatterie ni la vanité, c’était le plaisir seul de célébrer la vertu qui animait le génie. Plusieurs même, non par orgueil, mais par cette confiance que la probité inspire, osèrent écrire leur propre vie : Rutilius et Seaurus n’en furent ni moins crus, ni moins estimés ; car plus un siècle est fécond en vertus, plus il en connaît le prix. Pour moi, je n’ose écrire l’histoire d’Agri-