Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/219

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succès. Peut-être la traduction suivante, qui renferme à peu près les deux sens à la fois, satisferait-elle un plus grand nombre de lecteurs : Aussi cette multitude, qui n’apprécie les grands hommes qu’au gré de sa vanité, cherchait en vain l’illustre Agricola dans son extérieur : peu le démêlaient.

(180). Plus fréquemment qu’un souverain n’envoie de pareils messages. Le texte porte : Crebriùs quam ex more principatus per nuncios visentis ; mot à mot, plus fréquemment que les princes n’ont coutume de visiter par des messages. Ce passage a été différemment entendu et différemment rendu par les traducteurs ; un d’eux, entre autres, traduit simplement, trop souvent pour un prince ; ce qui ne rend, ce me semble, ni les expressions ni la pensée de Tacite. J’ai suivi le sens qui m’a paru le plus naturel et le plus indiqué par la phrase latine ; la seule difficulté qui me reste, est de savoir si, par le mot principatus, Tacite veut parler des princes en général, ou des empereurs romains en particulier, ou même, ce qui est possible, de Domitien seulement. Comme la phrase latine semble n’indiquer aucune restriction, j’ai adopté le premier de ces trois sens. Dans les éditions précédentes, j’avais traduit : Domitien lui envoya fréquemment, non de simples courriers, suivant la coutume des princes, mais ses premiers affranchis, etc. et peut-être ce sens pourrait-il aussi être adopté, en donnant au mot nuncius sa signification la plus ordinaire, d’un simple exprès, d’un simple porteur de messages ou de nouvelles.

(181). Cependant il feignit une sorte de douleur ; speciem lamen doloris animo vultuque prœ se tulit. Un traducteur croit que speciem doloris animo prœ se tulit signifie, joua la douleur à s’y méprendre peut-être lui-même. Je ne puis être de son avis ; ma raison est que Tacite dit, une ligne après, que Domitien dissimulait sa joie : or cela ne se peut dire de quelqu’un qui joue la douleur à s’y méprendre lui-même. Le sens me paraît plus simple ; il feignit (par ses discours) d’avoir l’ame triste, et prit un air affligé.

(182). Il ne sentait pas que le prince est un tyran, dès qu’un bon père le fait son héritier. Le texte dit à la lettre : qu’un bon père ne choisit pour héritier qu’un méchant prince. J’aurais traduit ainsi, si je n’avais craint que ce tour ne parût équivoque, sinon quant au sens, au moins quant à la phrase grammaticale ; mais peut-être y a-t-il aussi une légère équivoque grammaticale dans la phrase que j’y ai substituée. Aimerait-on mieux traduire : qu’un prince, nommé héritier par un bon père, est un tyran ? J’en laisse le choix au lecteur.

(183). Son visage, toujours serein y était de plus très-agréable. C’est ainsi que j’ai rendu la phrase, nihil metus in vultu, gratia oris supererat, entendant, par le premier membre, que la crainte ne paraissait jamais sur le visage d’Agricola ; ce que j’ai cru exprimer