Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/225

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le feu, persuadé que tout ce qui a jamais été illustre a droit à ses sentimens et à sa protection ! Combien de fois a-t-il soulagé de son patrimoine les pertes d’une infinité de citoyens, et, en dernier lieu, après l’incendie du Mont Célius ? Avec quelle tranquillité se font aujourd’hui les recrues des troupes, autrefois l’objet continuel de la frayeur du peuple, qui n’en craint plus la violence ?

Mais si la nature ou le malheur de l’humanité permettent de se plaindre secrètement des dieux à eux-mêmes, Tibère méritait-il les complots atroces formés contre lui par Libon, et ensuite par Pison et Silius, dont il avait créé l’un et fort élevé l’autre ? Pour en venir à de plus grands chagrins, quoique ces derniers aient été très-grands pour lui, qu’avait-il fait pour voir périr ses enfans encore jeunes, pour perdre celui même qu’il avait de son cher Drusus ?

Ce ne sont encore ici que des malheurs ; que dirons-nous de la honte de sa famille ? O Vinicius ! combien son cœur a-t-il été déchiré depuis trois ans ? Combien a-t-il dévoré de chagrins secrets, et par là plus cuisans ? Quels sujets de douleur, d’indignation, de honte, ne lui ont pas donnés sa belle-fille et son petit-fils ? A tant d’infortunes s’est jointe encore la perte de son auguste mère, plus semblable en tout aux dieux qu’aux hommes, qui n’a fait sentir sa puissance qu’en soulageant le malheur des uns, ou ajoutant au bonheur des autres.

Finissons par des vœux pour ce prince. O vous, Jupiter, qu’on adore au Capitole ! Mars, créateur et protecteur du nom romain ! Vesta, garde du feu éternel et sacré ! Vous enfin, dieux immortels, qui avez soumis l’univers à ce grand Empire ; c’est par ma voix que la nation vous supplie de conserver l’État et la paix ; de faire jouir notre digne empereur de la plus longue vie, de lui donner, mais fort tard, des successeurs qui soutiennent le poids de ce grand Empire, avec la même supériorité que nous admirons en lui[1].

  1. « On prétend, dit M. Thomas dans son Essai sur les Eloges, que ce Velléius Paterculus fut enveloppé dans la disgrâce de Séjan, et périt avec lui. Ainsi, pour salaire de ses mensonges, il eut l’ingratitude d’un tyran, une vie honteuse, une mort sanglante et le déshonneur chez la postérité. C’était bien la peine d’être vil. » Nous n’ajouterons rien à cette éloquente et terrible leçon, qui, malheureusement, sera toujours en pure perte pour les flatteurs des princes.