Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/232

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l’état où nous sommes. C’est son épée qui a réduit le sénat à ce petit nombre, et qui a éclairci ses rangs. Hélas ! sous quel faux jour tes yeux éblouis voient cet usurpateur ! Ils sont troublés par l’éclat trompeur que répandent sur lui ses conquêtes. Si tu l’apercevais tel qu’il est, tu le verrais noirci de meurtres, de trahisons, de sacrilèges et de crimes qui me font frissonner d’horreur à son seul nom. Tu me regardes sans doute comme un malheureux accablé par les revers, et en proie à la plus cruelle infortune ; mais j’en jure par les dieux, je ne voudrais pas, pour l’empire d’un million de mondes, être à la place de César, et lui ressembler.

DÉCIUS.

Est-ce là toute la réponse que Caton veut faire à César, en reconnaissance de ses généreux soins et de l’offre qu’il lui fait de son amitié ?

CATON.

Ses soins à mon égard sont inutiles, et l’effet de son orgueil. Les dieux prennent soin de Caton ; ce n’est point à ce présomptueux tyran à s’en charger. Veut-il montrer sa grandeur d’âme ? qu’il traite les amis qui m’environnent comme il offre de me traiter ; qu’il fasse un bon usage de son pouvoir mal acquis, en conservant des citoyens plus précieux que lui à la république.

DÉCIUS.

Caton, votre cœur fier et indomptable vous fait oublier que vous êtes homme. Vous courez à votre perte ; mais je n’ai plus rien à vous dire. Je vais rendre compte à César du malheureux succès de mon ambassade. Que Rome va verser de pleurs !

FIN DE LA DERNIÈRE SCÈNE DU QUATRIÈME ACTE.
(On apporte à Caton le corps mort de son fils Marcus, qui a été tué dans le combat.)
CATON.

Que je te revois avec joie, ô mon fils ! Permettez, mes chers amis, que je contemple à loisir ce corps sanglant, et que je compte ses glorieuses blessures. O mort pleine de gloire, qui est le prix de la vertu ! Qui d’entre vous n’envie pas le sort de ce jeune héros ? Qui pourrait le plaindre d’avoir sacrifié ses jours à son pays ? Pourquoi, mes chers amis, cette tristesse peinte sur vos visages ? Si la famille de Caton avait joui en paix des fruits de la guerre civile, c’est alors que j’aurais rougi et pleuré.