degré de plaisir harmonique de la lecture d’une page de Cicéron ou de Virgile. Ce sont des musiciens qui dénaturent tous à peu près également le même air, mais qui le dénaturent différemment, et qui en le dénaturant, y conservent en général et à peu près la même proportion dans la valeur des notes. Il en résulte d’abord pour eux, dans un degré à peu près égal et semblable, le plaisir qui naît de la mesure ; plaisir qui est ensuite modifié différemment par la proportion qu’ils mettent entre les notes dans chaque mesure particulière, et par la manière différente dont ils appuient sur ces notes. Mais quelle différence de ce plaisir estropié, si je puis parler de la sorte, à celui que le même air ferait éprouver, s’il était chanté dans le goût et l’esprit qui lui conviennent, et surtout exécuté par le compositeur même, et devant des auditeurs bien au fait des finesses de l’art musical ? Il arriverait la même chose qu’à la musique Italienne chantée par des étrangers ou par des Italiens. Les Italiens trouvent, et avec raison, que les étrangers l’écorchent ; un Français ou un Anglais qui chantent devant eux leur musique, leur font grincer les dents ; cependant ces étrangers, tout en écorchant la musique italienne, y éprouvent un certain degré de plaisir, et même assez vif pour affecter beaucoup ceux d’entre eux qui ne sont dénués ni de sentiment ni d’oreille. C’est le même corps, animé pour les uns, à demi-mort pour les autres, mais conservant encore pour ces derniers des traits frappans de proportion et de beauté.
Voilà, je pense, tout ce qu’on peut dire de raisonnable et d’intelligible, sur l’espèce de plaisir que nous goûtons par l’harmonie des langues mortes. Mais en savons-nous assez pour distinguer les nuances, je ne dis pas grossières, je dis seulement plus ou moins délicates, qui distinguent l’harmonie d’un auteur de celle d’un autre ? Je sais qu’il y a des auteurs où nous sentons cette différence d’harmonie jusqu’à un certain point ; que Virgile, par exemple, est plus harmonieux pour nous que les Épîtres d’Horace ; parce que le choix et la liaison des mots a plus de douceur, de mélodie et de rondeur dans le premier que dans le second. Mais la différence s’évanouit, ce me semble, presque entièrement, quand nous comparons l’harmonie de deux auteurs qui ont écrit à peu près dans le même genre ; celle, par exemple, de Virgile et d’Ovide, celle même de Virgile et de Lucain. Je ne parle ici que de l’harmonie ; je ne parle point du goût qui différencie ces auteurs, et qui étant du ressort de l’esprit seul, peut être plus aisément apprécié que le sentiment qui résulte de la cadence de leurs vers. Je doute beaucoup que nos connaissances puissent s’élever jusqu’à nous faire saisir les