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de la Saint-Louis, et où l’Académie distribue les prix d’éloquence et de poésie, qui consistent chacun en une médaille d’or. Elle a publié un dictionnaire de la langue française, qui a déjà eu quatre éditions, et qu’elle travaille sans cesse à perfectionner. La devise de cette Académie est : A l’immortalité.

AFFECTATION.

L’affectation de style, dans le langage et dans la conversation, est un vice assez ordinaire aux gens qu’on appelle beaux parleurs : il consiste à dire, en termes bien recherchés, et quelquefois ridiculement choisis, des choses triviales ou communes. C’est pour cette raison que les beaux parleurs sont ordinairement si insupportables aux gens d’esprit, qui cherchent beaucoup plus à bien penser qu’à bien dire, ou plutôt qui croient que pour bien dire, il suffit de bien penser ; qu’une pensée neuve, forte, juste, lumineuse, porte avec elle son expression ; et qu’une pensée commune ne doit jamais être présentée que pour ce qu’elle est, c’est-à-dire, avec une expression simple.

L’affectation dans le style est à peu près la même chose que l’affectation dans le langage ; avec cette différence que ce qui est écrit doit être naturellement un peu plus soigné que ce que l’on dit, parce qu’on est supposé y penser mûrement en l’écrivant ; d’où il suit que ce qui est affectation dans le langage, ne l’est pas quelquefois dans le style. L’affectation dans le style est à l’affectation dans le langage, ce qu’est l’affectation d’un grand seigneur à celle d’un homme ordinaire. J’ai entendu quelquefois faire l’éloge de certaines personnes, en disant qu’elles parlent comme un livre : si ce que ces personnes disent était écrit, cela pourrait être supportable ; mais il me semble que c’est un grand défaut que de parler ainsi ; c’est une marque presque certaine, que l’on est dépourvu de chaleur et d’imagination. Tant pis pour qui ne fait jamais de solécisme en parlant ; on pourrait dire que ces personnes-là lisent toujours et ne parlent jamais. Ce qu’il y a de singulier, c’est qu’ordinairement ces beaux parleurs sont de très-mauvais écrivains. La raison en est toute simple : ou ils écrivent comme ils parleraient, persuadés qu’ils parlent comme on doit écrire ; et ils se permettent, en ce cas, une infinité de négligences et d’expressions impropres, qui échappent, malgré qu’on en ait, dans le discours : ou ils mettent, proportion gardée, le même soin à écrire qu’ils mettent à parler ; et, en ce cas, l’affectation dans leur style est, si l’on peut parler ainsi, proportionnelle à celle de leur langage, et par conséquent ridicule.