encore nouveau et mal affermi ; qu’ils avaient long-temps et lâchement souffert qu’on les forçât à trente ou quarante ans de service, quoique vieux et estropies pour la plupart ; que le congé même ne mettait pas fin à leur esclavage, mais que, rengagés, sous un autre nom, ils enduraient les mêmes peines ; que si quelqu’un d’eux survivait à tant de maux, on le traînait dans des pays éloignés, pour lui donner, sous le nom de terres, des marais fangeux ou des rochers incultes ; que le service d’ailleurs était dur et infructueux, leur vie et leur courage taxés à dix as par jour, dont il fallait acheter des habits, des armes, des tentes, des dispenses, et l’humanité des centurions ; mais qu’ils avaient pour solde éternelle, les coups, les blessures, la dureté de l’hiver, les fatigues de l’été, une guerre cruelle ou une paix stérile ; que le seul remède était de servir à certaines conditions, d’exiger un denier de paie, et le congé au bout de seize ans, sans être retenus plus long-temps sous le drapeau ; de recevoir leur retraite en argent, et dans le camp même ; que les prétoriens qui avaient deux deniers de solde, et qui après seize ans étaient rendus à leurs familles, couraient apparemment plus de dangers ; qu’il se taisait sur ces troupes pacifiques, mais qu’entouré de barbares, il voyait l’ennemi de sa tente. »
Vibulenus, autre soldat, s’élevant sur les épaules de ses camarades, devant le tribunal du commandant Blésus : « Hélas ! dit-il à cette troupe mutinée, et qui avait les yeux sur lui, vous venez de rendre le jour et la vie à des innocens[1] malheureux ; mais qui rendra la vie à mon frère, et mon frère à moi ? L’armée de Germanie vous l’envoyait pour nos intérêts communs ; ce barbare l’a fait assassiner la nuit dernière par ses gladiateurs, qu’il tient armés pour massacrer les soldats. Réponds, Blésus, où as-tu jeté le cadavre ? l’ennemi même ne refuse pas la sépulture. Quand par mes embrassemens, par mes larmes, j’aurai, satisfait à ma douleur, fais-moi égorger aussi ; permets seulement aux légions de couvrir de terre les défenseurs de leur cause, immolés pour ce seul crime.
Drusus[2], debout, faisait signe de la main qu’on se tût. Les soldats se voyant en force, murmuraient en menaçant, puis tremblaient en regardant le prince ; à un bruit confus succédait