Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/62

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prise d’assaut, et non de la grandeur d’un prince à la tête de son armée, attirèrent l’attention des soldats même. Ils accourent, et demandent d’où viennent ces cris lamentables : quel malheur est arrivé ; pourquoi des femmes si respectables vont se réfugier à Trèves, chez des étrangers, sans avoir pour garde un centurion, un soldat même, rien enfin du cortège ordinaire de l’épouse d’un général...... Ils conjurent, ils pressent Agrippine de retourner au camp et d’y demeurer ; les uns l’arrêtent, les autres courent à Germanicus, qui encore plein de sa douleur et de son indignation, leur tint ce discours.

Discours de Germanicus pour apaiser la sédition de ses soldats.

« Ni ma femme, ni mon fils ne me sont plus chers que mon père ou la république ; mais mon père sera défendu par sa propre grandeur, et l’Empire romain par les autres armées ; pour ma femme et mon fils, dont je sacrifierais volontiers la vie à votre gloire, je les soustrais à votre fureur, afin que ma mort seule expie tous les crimes que vous. allez commettre, et que vous n’y ajoutiez pas l’assassinat du petit-fils d’Auguste et de la belle-fille de Tibère[1]. En effet, que n’avez-vous pas osé ou profané dans ces derniers temps ? Quel nom donnerai-je à cette multitude ? Vous appellerai-je soldats ? vous qui avez assiégé à main armée le fils de votre empereur. Citoyens ? vous qui foulez aux pieds l’autorité du sénat, qui avez même violé ce que l’ennemi respecte, le droit des gens et des ambassadeurs (24) ? César fit cesser d’un mot la sédition de son armée, en appelant Romains ceux qui refusaient d’obéir. Un seul regard d’Auguste contint les légions d’Actium. Nous-mêmes, qui descendons de ces grands hommes sans les égaler, nous verrions avec surprise et indignation des soldats espagnols ou syriens nous mépriser ; et c’est vous, première et vingtième légions, l’une créée par Tibère, l’autre, compagne de ses victoires et comblée de ses grâces, qui témoignez à votre général une reconnaissance si flatteuse ? J’apprendrai donc à mon père, qui ne reçoit que de bonnes nouvelles de toutes les autres provinces, que ni l’argent ni les congés n’ont pu satisfaire ses vieux et ses nouveaux soldats ; qu’en ce lieu (25) seul on massacre les centurions, on chasse les tribuns, on emprisonne les

  1. Agrippine, femme de Germanicus, était fille de Julie, fille d’Auguste, et par conséquent ses enfans étaient arrière-petits-fils de ce dernier prince. Elle était belle-fille de Tibère, par l’adoption que Tibère avait fait de Germanicus.