profondir et de développer ces objets ; car peu de gens discernent d’eux-mêmes ce qui est bien ou mal, nuisible ou avantageux ; l’exemple seul instruit la multitude. Ces récits, il est vrai, sont plus utiles qu’agréables. L’histoire des nations, la variété des combats, le sort des grands capitaines (74), attachent et intéressent le lecteur ; nous n’avons à parler que d’ordres barbares, d’accusations continuelles, d’innocens opprimés, d’amis perfides, de causes et d’effets qui dégoûtent par leur triste uniformité. D’ailleurs les anciens historiens ont peu de censeurs ; il n’importe à personne qui on loue le plus, des Carthaginois ou des Romains : mais plusieurs de ceux qui sous Tibère ont subi les supplices ou l’infamie, ont laissé des descendans ; et leur postérité, fût-elle éteinte, souvent celui qui leur ressemble par les mœurs, croit qu’on lui reproche les crimes d’autrui. L’éclat même de la vertu irrite les méchans, parce qu’elle les démasque et les condamne.
Sous le consulat de Cornélius Cossus et d’Asinius Agrippa, on fit à Cremutius Cordus un crime, jusqu’alors inoui, d’avoir publié une histoire où il louait Brutus, et nommait Cassius le dernier des Romains. Ses délateurs étaient Satrius Secundus, et Pinarius Natta, créatures de Séjan ; présage funeste pour l’accusé, ainsi que l’air menaçant de l’empereur. Résolu de quitter la vie, il se défendit en ces termes : « Sénateurs, on me reproche mes discours, tant mes actions sont innocentes ; mais ces discours même n’attaquent ni le prince, ni sa mère, seul crime de lèse-majesté. On m’accuse d’avoir loué Brutus et Cassius, dont tant d’auteurs ont écrit l’histoire, et qu’aucun n’a nommés sans éloges. Tite-Live, si éloquent et si sage (75), a donné tant de louanges à Pompée, qu’Auguste l’appelait le Pompéien : leur amitié n’en souffrit pas. Il traite souvent d’hommes illustres Afranius, Scipion, ce Brutus même et ce Cassius ; jamais, comme on le fait aujourd’hui, de voleurs et de parricides. Asinius Pollion a célébré leur mémoire ; Messala Corvinus appelait Cassius son général, et ces deux écrivains ont été comblés de biens et d’honneurs. Cicéron, dans un de ses livres, ayant déifié Caton, César, quoique dictateur, n’y répondit que par écrit, comme il eut fait en justice. Les lettres d’Antoine, les harangues de Brutus, sont des satires d’Auguste, fausses à la vérité, mais très-amères. On lit encore les vers de Bibaculus et de Catulle, pleins d’invectives contre les empereurs. César et Auguste, soit modé-