Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/122

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pos de la bonne cause, je vous apprendrai encore qu’on m’a fait d’indignes et odieuses tracasseries au sujet de mon voyage de Prusse ; on m’a prêté des discours que je n’ai jamais tenus, et que je n’aurais rien gagné à tenir. J’en ai appelé au témoignage du roi de Prusse lui-même, et ce prince vient de m’écrire une lettre qui confondrait mes ennemis, s’ils méritaient que je la leur fisse lire. Vous savez apparemment qu’il y a actuellement à Berlin un fort honnête circoncis qui, en attendant le paradis de Mahomet, est venu voir votre ancien disciple de la part du sultan Moustapha. J’écrivais l’autre jour en ce pays-là que, si le roi voulait seulement dire un mot, ce serait une belle occasion pour engager le sultan à faire rebâtir le temple de Jérusalem. Cela nous vaudrait vraisemblablement une nouvelle instruction pastorale de Jean-George, où il nous prouverait que, quoique le temple fût rebâti à chaux et à ciment, le Christ n’en aurait pas moins dit la vérité. Que pensez-vous de ce projet ? il me semble que l’exécution en serait fort divertissante. Je m’étonne que vos bons amis les Turcs n’y aient pas encore pensé ; cela prouve le grand cas qu’ils font de nos prophéties. Adieu, mon cher et illustre maître ; aimez-moi, je vous prie, toujours. Il me semble que vous me négligez un peu ; vous m’écrivez de petits billets, et vous ne m’envoyez presque rien. Je crains bien que celle-ci ne vous dégoûte d’en écrire de longues. Adieu, je vous embrasse mille fois.

P. S. Je ne parle point de tout ce qui se passe ici au sujet des déclarations, des édits, des impôts. Je laisse messieurs du parlement se mêler de tout cela sans y entendre. Il y a deux de ces messieurs qui sont à Berlin ; ils ont désiré de voir le roi de Prusse, et le roi n’y a consenti qu’après qu’ils ont assuré qu’ils n’avaient pas été d’avis de consulter la Sorbonne sur l’inoculation, et de s’opposer à la liberté du commerce des grains. Il faut avouer que le parlement et la Sorbonne n’ont point de reproches à se faire mutuellement.


Paris, 26 décembre 1763.


Je vous prends au mot, mon cher et illustre maître, comme Fontenelle prenait la nature sur le fait. M. de La Reynière, fermier des postes, veut bien me servir de chaperon pour recevoir vos épîtres canoniques ; faites-moi donc le plaisir de lui adresser dorénavant ce que vous voudrez bien m’envoyer. Je n’ai point reçu l’exemplaire de la Tolérance que vous m’annoncez. Tous les corsaires ne sont pas à Tétuan et sur la Méditerranée ;