Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/127

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ment qui va, dit-on, être dénoncé ; et on ajoute que l’auteur pourrait aller à la conciergerie, si le roi n’aime mieux l’envoyer à la Roque. En attendant, le parlement travaille à de belles remontrances sur l’affaire de M. Fitz-James ; ils prétendent que cela sera fort beau, et qu’ils pourront dire du gouvernement, comme M. de Pourceaugnac : Il me donna un soufflet, mais je lui dis bien son fait.

Que dites-vous du nouveau contrôleur-général ? Auriez-vous cru, il y a six ans, que les jansénistes parviendraient à la tête des finances ? Comme ils se connaissaient en convulsions, on a cru apparemment qu’ils seraient plus propres à guérir celles de l’État, et à empêcher les Anglais de nous donner une autre fois des coups de bûche. Et du cardinal de Bernis, qu’en pensez-vous ? Croyez-vous qu’après avoir fait le poème des Quatre Saisons, il revienne encore à Versailles faire la pluie et le beau temps ? L’éclaircissement, comme dit la comédie, nous éclaircira ; et moi j’attends tout en patience, sûr de me moquer de quelqu’un et de quelque chose, quoi qu’il arrive.

Je n’ai point eu, depuis quelque temps, des nouvelles de votre ancien disciple. Dieu veuille qu’il envoie les jésuites allemands prêcher et s’enivrer hors de chez lui !

Adieu, mon cher maître ; envoyez-moi tout ce que vous ferez ; car j’aime vos ouvrages autant que votre personne. Ménagez vos yeux et votre santé, et continuez à rire aux dépens des sots et des fanatiques. Marmontel engraisse à vue d’œil, depuis qu’il est de l’Académie ; ce n’est pourtant pas pour la bonne chère qu’on y fait.


Paris, 22 février 1764.


Je crains, mon cher et illustre maître, que votre frère et disciple Protagoras ne vous ait contristé par ce que vous appelez ses cruelles critiques. Quoique vous m’assuriez que mes lettres vous divertissent, je suis encore plus pressé de vous consoler que de vous réjouir. Je vous prie donc de regarder mes réflexions comme des enfants perdus que j’ai jetés en avant sans m’embarrasser de ce qu’ils deviendraient, et surtout d’être persuadé que ces enfants perdus n’ont été montrés qu’à vous, pour en faire tout ce qu’il vous plaira, et leur donner même les étrivières s’ils vous déplaisent. Permettez-moi cependant, toujours sous les mêmes conditions, d’ajouter deux ou trois réflexions, bonnes ou mauvaises, à celles que je vous ai déjà faites. Les Juifs, cette canaille bête et féroce, n’attendaient que des récompenses tem-