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Paris, 23 juin 1766.


Je savais bien, mon cher et illustre maître, que le nommé Vernet, au cou tord ou tors, avait publié incognito des lettres contre vous, contre moi et contre bien d’autres ; mais j’ignorais qu’il voulût les ressusciter ; elles étaient si bien mortes ou plutôt elles étaient mortes-nées. Quoi qu’il en soit, j’aurai soin de ce jésuite presbytérien, et je ne manquerai pas de lui dire un mot d’honnêteté à la première occasion ; mais un mot seulement, parce qu’il n’en mérite pas davantage, et que je ne veux pas tout-à-fait demeurer en reste avec un honnête prêtre comme lui : Ne prorsùs insalutatum dimittam.

À propos de latin, quoique cela ne vienne pas à ce que nous, disons, dites-moi, je vous prie (j’ai besoin de le savoir et pour cause), si c’est vous, comme je le crois, qui avez fait les deux vers latins qui sont à la tête de votre Dissertation sur le Feu, et si le second est cuncta fovet ou cuncta parit ?

J’ai actuellement entre les mains le livre de Fréret, ou si vous le voulez, d’un capitaine au régiment du roi, ou de qui il vous plaira. Si ce capitaine était au service de notre saint-père le pape, je doute qu’il le fît cardinal, à moins que ce ne fût pour l’engager à se taire ; car ce capitaine est un vrai cosaque qui brûle et qui dévaste tout. C’est dommage que l’assemblée du clergé finisse, elle aurait beau jeu pour demander que le capitaine Fréret fût mis au conseil de guerre, pour être ensuite livré au bras séculier, et traité suivant la douceur des ordonnances de notre mère sainte Église.

Quoi qu’il en soit, ce livre est, à mon avis, un des plus diaboliques qui aient encore paru sur ce sacré sujet, parce qu’il est savant, clair et bien raisonné. On dit qu’il y a un curé de village d’auprès de Besançon qui y avait fait une réponse ; mais que, toutes réflexions faites, on l’a prié de la supprimer, parce que la défense était beaucoup plus faible que l’attaque.

Le bâillon de Lalli a révolté jusqu’à la populace, et l’énoncé de l’arrêt a paru bien absurde à tous ceux qui savent lire. Je suis persuadé comme vous que Lalli n’était point traître, car l’arrêt n’aurait pas manqué de le dire, et trahir les intérêts du roi ne signifie rien, puisque c’est trahir les intérêts du roi que de frauder quelques sous d’entrée, ce qui, à mon avis, ne mérite pas la corde. Je crois bien que ce Lalli était un homme odieux, un méchant homme, si vous voulez, qui méritait d’être tué par tout le monde, excepté par le bourreau. Les voleurs du Canada étaient bien plus dignes de la hart ; mais ils avaient des parents