Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/176

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longue cela ne peut produire tout au plus que le rire sardonique, qui est la grimace de ceux qui meurent de faim.

J’ai envoyé à Marmontel votre petit billet qui sûrement lui fera plaisir. La censure de la Sorbonne se fait toujours attendre ; ce sera sans doute un bel ouvrage. À propos, je trouve que le neveu de l’abbé Bazin ne l’a pas suffisamment vengé ; il dit presque autant de mal du capitaine Bélisaire que des censeurs du roman. Je lui recommande encore une fois les Cogé, Ribalier et compagnie ; et je le prie de leur donner si bien les étrivières, qu’il n’y ait plus à y revenir : cette canaille a grand besoin qu’on lui rogne les ongles. Je voudrais que vous vissiez les deux ou trois phrases qu’ils ont retranchées dans le discours de M. de La Harpe. Par exemple, en parlant de l’autorité du clergé, qu’il faut, dit l’auteur, renfermer dans de justes bornes, ils ont mis dans ses justes bornes. Au lieu du mot juger le clergé, ils ont mis réprimer les excès ; ils ont retranché principes cruels ; et la phrase suivante, porterez-vous encore longtemps le fardeau des vieilles erreurs ? Je voulais rétablir ces phrases à l’impression, mais la plupart de nos confrères ont cru plus prudent de n’en rien faire, pour ne pas compromettre l’Académie. Avec cette prudence-là, on recevrait, sans mot dire, cent coups de bâton. Adieu, mon cher maître ; portez-vous bien, et surtout riez.


Paris, 14 auguste 1767.


Les philosophes, mon cher et illustre confrère, doivent être comme les petits enfants ; quand ceux-ci ont fait quelque malice, ce n’est jamais eux, c’est le chat qui a tout fait. Je crois très ingénument que l’Ingénu n’existe pas ; je ne le croirai que le plus tard que je pourrai ; mais enfin, si on me le montre et que je trouve cet Ingénu tant soit peu malicieux, je dirai que c’est le neveu ou le chat de l’abbé Bazin qui en est l’auteur.

À propos d’Ingénu, avez-vous lu un livre qui a pour titre Théologie portative, et dans lequel on dit ingénument aux prêtres de toutes les sectes leurs vérités ? C’est une espèce de dictionnaire dont les articles sont courts, mais où il y en a un grand nombre de très plaisants et de très-salés ; c’est encore quelque chat qui a fait cette malice.

Voilà une lettre que Marmontel m’envoie pour vous la faire parvenir. On dit que la belle censure de la Sorbonne va enfin paraître, et qui plus est, le mandement du révérendissime père en Dieu Christophe de Beaumont. On ajoute que la censure de la Sorbonne contenait douze à quinze pages contre la tolérance ;