Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/182

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l’ambassadeur d’Espagne à la cour de France, et gendre du comte d’Aranda, qui a chassé les jésuites d’Espagne. Vous voyez déjà que ce jeune seigneur est bien apparenté ; mais c’est là son moindre mérite ; j’ai peu vu d’étrangers de son âge qui aient l’esprit plus juste, plus net, plus cultivé et plus éclairé : soyez sûr que tout jeune, tout grand seigneur et tout Espagnol qu’il est, je n’exagère nullement. Il est près de retourner en Espagne, et il est tout simple que, pensant comme il fait, il désire de vous voir et de causer avec vous. Il sait que vous êtes seul à Ferney et que vous voulez y être seul ; aussi ne veut-il point vous incommoder. Il se propose de demeurer à Genève quelques jours, et d’aller de là converser avec vous aux heures qui vous gêneront le moins. Ce qu’il vous dira de l’Espagne vous fera certainement plaisir ; il est destiné à y occuper un jour de grandes places, et il peut y faire un grand bien. Je dois ajouter qu’il aura avec lui un autre jeune seigneur espagnol, nommé le duc de Villa-Hermosa, que je ne connais point, mais qui doit avoir du mérite puisqu’il est ami de M. le marquis de Mora ; c’est le nom de celui qui désire de vous voir. Il vous verra avec son ami, si cela ne vous gêne pas trop ; sinon M. le marquis de Mora vous ira voir tout seul. Je puis vous répondre que quand vous l’aurez vu, vous me remercierez de vous l’avoir fait connaître. Faites-moi, je vous prie, un mot de réponse ostensible, soit pour accepter ce que je vous propose, soit pour refuser honnêtement ; ce qui m’affligerait, je vous l’avoue, sans cependant que je vous en susse mauvais gré ni M. de Mora non plus. Il compte partir le 20 de ce mois ; ainsi je vous prie de m’écrire un mot avant ce temps-là. Oh ! qu’un jeune étranger comme celui-là fait de honte à nos freluquets velches ! Adieu, mon cher maître, portez-vous bien et aimez-moi toujours.


Paris, 23 avril 1768.


Mon cher et illustre confrère, M. le marquis de Mora que je vous ai déjà tant annoncé, et que je ne vous ai pas annoncé autant qu’il le mérite, veut bien se charger de vous remettre cette lettre dont il n’aura pas besoin, quand vous aurez causé un quart d’heure avec lui. Vous trouverez en lui un esprit et un cœur selon le vôtre, juste, net, sensible, éclairé et cultivé, sans pédanterie et sans sécheresse. M. le duc de Villa-Hermosa, qui voyage avec M. le marquis de Mora, désire et mérite de partager avec lui la satisfaction de vous voir. Je vous l’ai dit, mon cher maître, vous me remercierez d’avoir connu ces deux étrangers. Vous