Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/184

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appliquer le knout. Au reste, sa traduction est la meilleure épigramme qu’on puisse faire contre lui ; ce serait le sujet d’une assez plaisante brochure que le relevé de toutes les expressions ridicules qui s’y trouvent, sans compter les contre-sens.

M. le duc de Villa-Hermosa, aussi enchanté de vous que son compagnon de voyage, m’a remis votre lettre, et m’a chargé de vous faire parvenir celle-ci. Adieu, mon cher maître ; continuez, pour l’édification des anges, des curés, des conseillers, des paysans et des laquais, à rendre le pain bénit, mais avec sobriété pourtant ; car, je l’ai ouï dire à un fameux médecin, les indigestions de pain bénit ne valent pas le diable.


Paris, 26 mai 1768.


Jai reçu, mon cher et illustre maître, le poème et la relation que M. de La Borde m’a envoyés de la part du jeune Franc-Comtois qui me paraît avoir son franc-parler sur les sottises de la taupinière de Calvin et les atrocités du tigre aux yeux de veau. Ce Franc-Comtois peut, en toute sûreté, tomber sur le janséniste apostat, sans avoir à redouter les protecteurs dont il se vante, et qui sont un peu honteux d’avoir si mal choisi. On donne l’aumône à un gueux, et on trouve très bon qu’un autre lui donne des étrivières quand il est insolent. M. le comte de Rochefort n’est point à Paris ; il est actuellement dans les terres de madame sa mère, avec sa femme ; je crois qu’ils ne tarderont pas à revenir. Votre ancien disciple vient encore de m’écrire une assez bonne lettre sur l’excommunication du duc de Parme. Il me mande que si l’excommunication s’étend jusqu’ici, les philosophes en profiteront ; que je deviendrai premier aumônier ; que Diderot confessera le duc de Choiseul, et Marmontel le dauphin ; que j’aurai la feuille des bénéfices, et que je vous ferai archevêque de Paris ou de Lyon, comme il vous plaira : ainsi soit-il ! Que dites-vous de l’expédition de Corse ? n’avez-vous point peur qu’il n’en résulte une guerre dont l’Europe n’a pas besoin, et nous moins que personne ? Que dites-vous aussi du train que fait Wilkes en Angleterre ? il me semble que le despotisme n’a pas plus beau jeu dans ce pays-là que la superstition. Adieu, mon cher et illustre maître, le ciel vous tienne en joie et en santé ! je vous embrasse comme je vous aime, c’est-à-dire ex toto corde et animo.