Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/208

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quelques jours, une profonde mélancolie. Je crois que je serai votre précurseur dans l’autre monde, si cela continue ; je voudrais bien pourtant, après vous y avoir annoncé, ne pas vous y voir arriver de longtemps. Nous avons élu, lundi dernier, M. l’archevêque de Toulouse à la place du duc de Villars, et assurément nous ne perdons pas au change. Je crois cette acquisition une des meilleures que nous puissions faire dans les circonstances présentes. Il ne sera reçu qu’après l’assemblée du clergé, qui finira dans les derniers jours d’auguste.

Oui, le roi de Prusse m’a envoyé son écrit contre l’Essai sur les préjugés. Je ne suis point étonné que ce prince n’ait pas goûté l’ouvrage ; je l’ai lu depuis cette réfutation, et il m’a paru bien long, bien monotone et trop amer. Il me semble que ce qu’il y a de bon dans ce livre, aurait pu et dû être noyé dans moins de pages ; et je vois que vous en avez porté à peu près le même jugement. Nous avons eu des nouvelles de l’arrivée de Pigal, et de la bonne réception que vous lui avez faite. Savez-vous que Jean-Jacques Rousseau m’a envoyé sa contribution, et que ce Jean-Jacques est actuellement à Paris ? Adieu, mon cher maître, je n’ai pas la force de vous en écrire davantage, mais je n’ai pas voulu tarder plus longtemps à répondre à vos questions. Je vous embrasse et vous aime de tout mon cœur.


Paris, 2 juillet 1770.


Mon cher et illustre ami, j’ai reçu à la fois, par Marin, deux de vos lettres, et je me hâte de répondre aux articles essentiels ; car je ne vous écrirai pas une longue lettre, étant toujours imbécile, triste et presque entièrement privé de sommeil.

Je n’aime ni n’estime la personne de Jean-Jacques Rousseau qui, par parenthèse, est actuellement à Paris, j’ai fort à me plaindre de lui ; cependant je ne crois pas que ni vous ni vos amis deviez refuser son offrande. Si cette offrande était indispensable pour l’érection de la statue, je conçois qu’on pourrait se faire une peine de l’accepter ; mais qu’il souscrive ou non, la statue n’en sera pas moins érigée ; ce n’est plus qu’un hommage qu’il vous rend et une espèce de réparation qu’il vous fait. Voilà du moins comme je vois la chose, et ceux de vos amis à qui j’ai fait part de votre répugnance, me paraissent penser comme moi.

Quant à La Beaumelle, il n’en est pas de même ; c’est un homme décrié et déshonoré, ainsi que Fréron et Palissot ; il ne serait pas juste de mettre Jean-Jacques Rousseau dans la même