Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/218

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avions cessé d’exiger cette approbation, par des raisons très raisonnables : 1°. parce que lorsqu’on annonça, dans une assemblée publique, que l’éloge de Charles V devait être ainsi approuvé, le public nous rit au nez, et nous le méritions bien ; 2°. parce qu’il y a des éloges, comme celui de Molière, qui auraient rendu ridicule l’approbation de deux théologiens ; 3°. parce qu’il y en a comme ceux de Sully, de Colbert, où il faut parler d’autre chose que de théologie, et où l’approbation de deux docteurs de Sorbonne ne mettrait point l’Académie à couvert des tracasseries ; 4°. enfin, parce que ces docteurs abusaient scandaleusement du droit d’effacer ce qu’il leur plaisait, témoin l’éloge de Charles V, dans lequel ils avaient effacé tout ce qui était contraire aux prétentions ultramontaines, à l’inquisition, etc. Il faudra pourtant désormais se soumettre à ce joug ; à la bonne heure. Je gémis et je me tais. Si on vous envoie l’arrêt du conseil, vous verrez aisément que ceux qui l’ont rédigé n’avaient pas pris la peine de lire le discours de La Harpe. Je sais que plus d’un évêque désapprouvent fort cette condamnation ; mais ils risqueraient trop à s’expliquer. Nous sommes bien heureux, en cette circonstance, que le feu parlement n’existe plus : car il n’aurait pas manqué de faire dans cette occasion quelque nouvelle sottise.

Adieu, mon cher ami ; j’ai le cœur navré de douleur.


Paris, 18 novembre 1771.


Je ne sais, mon cher maître, par quelle fatalité je n’ai reçu que depuis deux jours votre lettre du 19 d’octobre, et le paquet qui y est joint. J’ai lu le beau discours d’Anne du Bourg, qui ne corrigera point les fanatiques, mais qui du moins rendra le fanatisme odieux ; les Pourquoi, auxquels on ne répondra point, parce qu’il n’y a point de bonne réponse à y faire que de réformer les Welches qui resteront Welches encore longtems ; et la Méprise d’Arras, qui me paraît bien modestement appelée méprise, et qui n’empêchera point que les successeurs de ces assassins, aussi fanatiques, plus ignorants et plus vils, ne fassent souvent des méprises pareilles, sans compter tout ce qui nous attend d’ailleurs. Quand je vois tout ce qui se passe dans ce bas monde, je voudrais aller tirer le Père éternel par la barbe et lui dire, comme dans une vieille farce de la passion :

Père éternel, vous avez tort,
Et devriez avoir vergogne ;
Votre fils bien-aimé est mort,
Et vous dormez comme un ivrogne.