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CORRESPONDANCE

pour les instruire. Votre majesté en demande la raison ; c’est que dans le pays que ces philosophes habitent, le climat console de la Sorbonne, et le physique du moral ; c’est que ces philosophes ont une santé faible et des amis ; c’est qu’ils pensent pour leur patrie comme la femme du médecin malgré lui, qui aime son mari, quoiqu’elle en soit battue, et qui répond assez sottement à ceux qui veulent la séparer de lui : je veux qu’il me batte.

Vous mettez, sire, le comble à vos bontés pour moi, par les détails où voulez bien entrer sur ma santé. Elle se rétablit peu à peu, et j’espére qu’elle se conservera par un régime exact, le seul remède auquel j’aie confiance. Toutes les recettes dont j’ai usé d’ailleurs, quoique réputées stomachiques ou stomachales, car leur nom n’est pas plus assuré que leur effet, m’ont fait plus de mal que de bien ; mon estomac est de la nature des pédans, il se révolte contre tout ce qui lui est nouveau, médicamens et nourriture. Si j’avais néanmoins le malheur de ne pouvoir me passer de remèdes, j’essayerais des eaux minérales que votre majesté me conseille ; mais j’aurai recours à la médecine le plus tard que faire se pourra ; je la regarde comme la sœur presque jumelle de la métaphysique, par son incertitude ; et il me semble qu’elle a l’obligation à la théologie de n’être pas la première des impertinences humaines. Votre majesté me permettra-t-elle de profiter de cette occasion pour lui offrir mes vœux sincères à l’occasion du mariage prochain de monseigneur le prince de Prusse ?

D’une tige en héros féconde
Puissent naître à jamais des fils et des neveux
Qui fassent le bonheur du monde !

Ces fils et ces neveux, sire, n’auront pas à chercher bien loin de chez eux le modèle qu’ils auront à suivre.

Si votre majesté, qui ne veut point de ministre pour son professeur de belles-lettres, avait moins de répugnance pour la messe que pour la cène, on m’a parlé d’un fort honnête prêtre qui ne dira la messe ( supposé qu’il la dise) que pour son plaisir, et qui trouvera très-bon que votre majesté ne vienne pas l’entendre. On dit d’ailleurs tout le bien possible de sa capacité, de son caractère et de ses mœurs. En cas qu’il pût convenir à votre majesté, je lui proposerai la place avec les avantages considérables qui y sont attachés, et je ne négligerai rien pour l’engager à l’accepter. Heureux si le succès répond à mon zèle !

Je suis etc.