Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

son départ de Paris, je n’ai pas été un moment sans les plus vives alarmes. Je me plaignais de la fatalité qui vous avait obligé de quitter un pays où vous étiez, à juste titre, si chéri et si honoré, et où vous avez laissé des regrets éternels. Je me flattais que des circonstances plus favorables vous rendraient à la France, et avec vous l’homme le plus digne et le plus capable de vous succéder ; j’espérais au moins le revoir encore ; j’espérais que les soins de M. Lorry le rétabliraient ; j’espérais enfin, si je n’avais pas le bonheur de vivre avec lui, de pouvoir dire encore longtemps : Il vit et il m’aime. Hélas ! monsieur, il faut renoncer à cette espérance ; il faut renoncer même à la cruelle douceur de mêler mes larmes avec les vôtres, et de parler de M. de Mora à la personne du monde qui saurait le mieux m’entendre. Il ne me reste que la triste consolation de penser sans cesse aux rares qualités qu’il avait reçues de la nature, aux bontés dont il m’honorait, aux doux moments que j’ai passés avec lui et qui ne reviendront plus ; enfin à la vive et respectueuse tendresse que j’avais pour sa personne. C’est dans ces pensées que je finirai ma vie ; et cette chère et affligeante image sera toujours présente à mon cœur.

Permettez-moi, monsieur, de faire ici pour vous les vœux que je ne puis plus faire pour lui. Puisse votre vertu être à l’avenir mieux récompensée ! puissiez-vous trouver dans les enfants qui vous restent la consolation que cette vertu mérite ! vous leur direz toute la perte que vous avez faite et qu’eux seuls peuvent adoucir ; ils imiteront M. le marquis de Mora dans ses vertus et dans sa tendresse pour vous ; et ils rendront autant qu’il est possible, à leur patrie et à leur famille, ce qu’elles pleurent si justement l’une et l’autre.

Je suis avec bien plus de respect encore pour votre personne que pour votre rang et votre nom, etc.


À Mlle  VIGÉE.


Septembre 1775.


LAcadémie Française a reçu, avec toute la reconnaissance possible, la charmante lettre que vous lui avez écrite, et les beaux portraits de Fleury et La Bruyère que vous avez bien voulu lui envoyer, pour être placés dans la salle d’assemblée, où elle désirait depuis longtemps de les voir. Ces deux portraits, en retraçant deux hommes dont le nom lui est si cher, lui rappelleront sans cesse, mademoiselle, le souvenir de tout ce qu’elle vous doit, et qu’elle est très flattée de vous devoir. Ils seront