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CORRESPONDANCE

AVEC VOLTAIRE.





Paris, ce 24 auguste 1752.


Jai appris, monsieur, tout ce que vous avez bien voulu faire pour l’homme de mérite auquel je m’intéresse, et qui est à Potsdam depuis peu de temps (l’abbé de Prades). J’avais prié madame Denis de vouloir bien vous écrire en sa faveur, et on ne saurait être plus reconnaissant que je le suis des égards que vous avez eus à ma recommandation. Je me flatte qu’à présent que vous connaissez la personne dont il s’agit, elle n’aura plus besoin que d’elle-même pour vous intéresser en sa faveur et pour mériter vos bontés. Je sais par expérience que c’est un ami sûr, un homme d’esprit, un philosophe digne de votre estime et de votre amitié, par ses lumières et par ses sentiments. Vous ne sauriez croire à quel point il se loue de vos procédés, et combien il est étonné qu’agissant et pensant comme vous faites, vous puissiez avoir des ennemis. Il est pourtant payé pour en être moins étonné qu’un autre ; car il n’a que trop bien appris combien les hommes sont méchants, injustes et cruels. Mon collègue dans l’Encyclopédie se joint à moi pour vous remercier de toutes vos bontés pour lui, et du bien que vous avez dit de l’ouvrage à la fin de votre admirable Essai sur le siècle de Louis XIV. Nous connaissons mieux que personne tout ce qui manque à cet ouvrage. Il ne pourrait être bien fait qu’à Berlin, sous les yeux et avec la protection et les lumières de votre prince philosophe ; mais enfin nous commencerons, et on nous en saura peut-être à la fin quelque gré. Nous avons essuyé cet hiver une violente tempête ; j’espère qu’enfin nous travaillerons en repos. Je me suis bien douté qu’après nous avoir aussi maltraités qu’on a fait, on reviendrait nous prier de continuer, et cela n’a pas manqué. J’ai refusé pendant six mois, j’ai crié comme le Mars d’Homère ; et je puis dire que je ne me suis rendu qu’à l’empressement extraordinaire du public. J’espère que cette résistance si longue nous vaudra dans la suite plus de tranquillité. Ainsi soit-il.

J’ai lu trois fois consécutives, avec délices, votre Louis XIV : j’envie le sort de ceux qui ne l’ont pas encore lu, et je voudrais perdre la mémoire pour avoir le plaisir de le relire. Votre Duc