Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, V.djvu/81

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est incomparable, et au-dessus de tout ce qu’elle a jamais été. En vérité, elle mériterait bien de votre part quelque monument marqué de reconnaissance. Vous avez célébré Gaussin qui ne la vaut pas ; vous lui devez au moins une épître sur la déclamation, sur l’art du théâtre, sur ce que vous voudrez, en un mot ; mais vous lui devez une statue pour la postérité. Vous saurez de plus qu’elle est philosophe ; qu’elle a été la seule, parmi ses camarades, qui se soit déclarée ouvertement contre la pièce de Palissot ; qu’elle a pris grande part au succès de l’Écossaise, quoiqu’elle n’y jouât pas ; qu’enfin elle est digne, à tous égards, d’un petit souvenir de votre part, tant par ses talents que par sa manière de penser.

L’abbé d’Olivet, qui ne lit qu’Aristophane et Sophocle, alla voir votre pièce, il y a quelques jours, sur tout ce qu’il en entendait dire. Il prétend que, depuis défunt Roscius, pour lequel Cicéron plaida, il n’y a point eu d’actrice pareille ; elle fait tourner toutes les têtes, non pas dans le sens de l’abbé Trublet, mais du bon côté. J’écrivais ces jours-ci à son amant qu’elle finirait par me mettre à mal, et que

Si non pertæsum cunni penisque fuisset,
Huic uni forsan potui succumbere culpæ.

Je vous ai écrit, il y a quelques jours, pour vous recommander un homme d’esprit et de mérite, M. le chevalier de Maudave. Vous aurez bientôt une autre visite dont je vous préviens ; c’est celle de M. Turgot, maître des requêtes, plein de philosophie, de lumières et de connaissances, et fort de mes amis, qui veut aller vous voir en bonne fortune ; je dis en bonne fortune, car, propter metum judæorum, il ne faut pas qu’il s’en vante trop, ni vous non plus. Adieu, mon cher et grand philosophe.


8 octobre 1760.


Je m’attendais bien, mon cher et grand philosophe, que vous seriez content de l’Indien que vous ai adressé, et qui brûlait d’envie d’aller prendre vos ordres pour les Bramines. À l’égard de mon discours, maître Aliboron, votre ami et le mien, n’en a pas pensé comme vous. Il ne l’a ni lu ni entendu ; et en conséquence il vient de faire deux feuilles contre moi, que je n’ai aussi ni lues ni entendues, et dans lesquelles je sais seulement que vous avez votre part. Il prétend que, si votre siècle a des bontés pour vous, la postérité ne vous promet pas poires molles, et il vous met au-dessous de tous les poëtes passés, présents et à venir, depuis Homère jusqu’à Pompignan. J’ai hésité si je vous