Page:D’Esparbès - Le Roi (1910).djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
89
L’HOMME

L’escorte, derrière eux, faisait sa besogne. Une file de brancardiers, lugubre, suivait la compagnie des chevaux. Ils soupirèrent.

— Cesserons-nous pas d’en retrouver ! Ce ne sont que hachis d’entrailles et de membres, têtes poignardées, des morts partout, des âmes à la dérive dans le sang…

— Ne parlez pas des âmes, sire, les âmes, râla le sectaire, sont autour du Juge, et elles commencent le procès.

Le prince regarda le ciel, le vit sans astres. Non, il n’y avait d’étoiles qu’ici-bas, et il les vit, larmes saintes, dans les yeux offerts de l’amitié.

— Le Juge dont tu parles nous abandonne.

— Ne dites pas cela ! cria le croyant.

— N’a-t-il pas osé ces fureurs ?

— Il ne défend pas les représailles.

— Alors, dit le prince, notre Juge n’est pas le même.

— Il n’y en a qu’un ! protesta le poète ardent, je n’en veux connaître qu’un seul, que nous eussions dû écouter ! C’est le Juge Biblique aux leçons sanglantes, Celui qui nous abat et nous relève, le Dispensateur aux mains lourdes, le Guerrier, l’Aïeul enfin qui tient le glaive !

— On ne m’enseigna que le Fils.

— Il nous a trompés ! dit le sombre poète au prince. Dans la bataille humaine organisée par son père, il a fait le geste de la fuite, il a jeté aux lutteurs les mots de paix, de renoncement. Intervenir dans l’action avec ses seuls rêves, se dé-