Page:D’Haussonville - Souvenirs et mélanges.djvu/15

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de franchir sans être reconnu l’espace compris entre le local où siégeait l’Assemblée et la grille du pont tournant des Tuileries. C’était là que les hommes des faubourgs, encore échauffés par la prise du palais et par le massacre des Suisses, qui avait duré tout le jour, guettaient, pour les égorger à leur passage, les défenseurs du roi, désignés à leur haine, dans le langage du temps, par le nom de « Chevaliers du Poignard ». Il était visible qu’au lieu de songer à le protéger, les membres du Corps législatif s’éloignaient de lui à dessein, comme pour mieux le désigner aux colères de la populace. Mon grand-père, en traversant le jardin, avisa un malheureux enfant blessé d’une balle et qui gisait à terre entouré de plusieurs curieux. Il marcha droit vers le groupe et, comme il était fort, enleva sans rien dire l’enfant entre ses bras. Personne ne s’y opposa. Il parcourut ainsi chargé, sans se presser et comme uniquement occupé des soins à donner au petit blessé, les quatre ou cinq cents pas qui le séparaient de la sortie du jardin. Arrivé devant les premières lignes de ces redoutables énergumènes, il commanda à haute voix plutôt qu’il ne pria qu’on lui livrât passage. Ce premier obstacle franchi, et toujours protégé par son précieux fardeau, mon grand-père longea les quais jusqu’au pont Royal et gagna ainsi la rue Saint-Dominique où était l’hôtel d’Haussonville, non sans avoir déposé