Page:D’Haussonville - Souvenirs et mélanges.djvu/17

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menant à peu près la même vie que sous l’ancien régime, n’ayant presque rien changé à ses habitudes, surtout à Gurcy, chassant comme à son ordinaire, attendant et recevant de chacun le même respect et les mêmes traitements que par le passé.

J’ai entendu raconter que peu de temps avant son entrée ou après sa sortie de prison, se promenant sur la route de Montigny à Donnemarie, mon grand-père s’y rencontra un jour avec un voiturier qui conduisait une charrette pesamment chargée. Tout à coup le cheval s’arrêta court, refusant de gravir la montée qui est assez raide à cet endroit. Le charretier de tempêter, de jurer, de fouetter sa bête à tour de bras ; le tout inutilement. Ce que voyant : « Vous vous y prenez mal, dit mon grand-père au charretier ; poussez à la roue, tandis que je conduirai votre cheval en zig-zag sur la route. » La charrette étant arrivée jusqu’au sommet de la côte, mon grand-père continua sa promenade escorté du charretier évidemment intrigué de savoir à qui il avait affaire. C’était l’époque où le tutoiement républicain était de rigueur. « Citoyen, est-ce que tu es de Montigny ? » « Non, je ne suis pas de Montigny. » — « Est-ce que tu es de Donnemarie ? » — « Non, je ne suis pas de Donnemarie. » — « Où demeures-tu donc ? » — « Je demeure à Gurcy. » — « Mais, à Gurcy, il n’y a pas de bourgeois ; il n’y a que cette canaille d’aristocrate le ci-devant comte d’Haussonville. » —