Page:D’Haussonville - Souvenirs et mélanges.djvu/28

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l’armée des Princes toute la considération à laquelle son âge lui permettait de prétendre. Il m’a souvent dit qu’il n’avait pas eu l’agrément de s’être jamais fait la moindre illusion sur les chances des tentatives des émigrés. La cause qu’il servait lui plaisait plus que la manière dont elle était servie ; son bon sens sut tout de suite à quoi s’en tenir sur les folles espérances de ses compagnons d’armes ; leur confiance ne le rassurait guère, et leur jactance lui déplaisait. Plusieurs fois j’ai prié mon père de mettre par écrit ses souvenirs d’émigration ; ils auraient été intéressants, car il avait beaucoup vu de choses, la plupart de fort près, et il avait tout retenu. L’enchaînement des événements, l’aspect des lieux, la physionomie des acteurs grands ou petits, rien n’était sorti de sa mémoire. Il savait mille anecdotes curieuses qui peignaient d’une façon vive et quelquefois plaisante l’état d’esprit de cette fraction de la noblesse qui, sortie de son pays par haine des idées dominantes et des tendances du moment, subissait elle-même, à son insu, l’influence qu’elle était allée combattre, et qui, par ses mœurs, par ses goûts, sinon par ses opinions, demeurait française encore à force d’inconséquences. L’esprit, le ton et les modes de Paris ne cessèrent pas un instant de régner exclusivement parmi ce monde qui n’avait pas craint de se liguer avec l’étranger, mais qui redoutait plus que tout de devenir provincial. Les chansons nouvelles,