Page:D’Haussonville - Souvenirs et mélanges.djvu/33

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assez connaître, mais mon père eut tout d’abord occasion de s’en apercevoir. On entremêlait habituellement les compagnies des déférents corps, mettant une compagnie anglaise à côté d’une compagnie d’émigrés français, soit pour leur donner plus d’émulation, soit pour les faire observer les uns par les autres. Un jour, mon père occupait sur les derrières de l’armée une position ouverte de tous côtés ; il était fort sur l’éveil, car déjà venait de commencer cette retraite désastreuse qui n’a fini que sur les bords de la mer, lorsqu’il fut visité par l’officier anglais d’un grade supérieur au sien, car il était Major, qui commandait le poste voisin ; il venait prier mon père de jeter un coup d’œil sur la manière dont il avait placé ses troupes. À première vue, mon père s’aperçut combien son camarade anglais ignorait les premiers éléments du métier. Comme il parlait assez bien anglais, il se risqua à lui adresser quelques observations ; elles furent accueillies avec déférence. La confiance s’établissant par degrés, l’officier anglais lui raconta qu’il ne faisait que d’arriver à l’armée, muni d’une commission qu’il avait achetée à Londres. Il demanda en grâce à mon père de vouloir bien disposer de tous ses hommes et de les commander, en cas d’alerte, comme les siens propres. Mon père s’en défendit à cause de l’infériorité de son grade, mais le colonel du régiment anglais intervint sur l’entrefaite, et dit à mon père : « Monsieur le Major