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LUDWIG VAN BEETHOVEN

la Haine. Et l’âme est de nouveau saisie de crainte ; elle implore de nouveau ; elle réclame cette paix promise et à peine entrevue : « Il faut prier, prier, prier[1] ». Mais elle ne pourra la conquérir sans se vaincre elle-même. — Et c’est l’apologie musicale du renoncement chrétien. — Le thème de paix se transforme ; une lutte s’établit dans l’âme humaine, au cours de cet extraordinaire presto d’orchestre où le motif pacifique se livre à lui-même un combat pour s’abolir enfin dans une victorieuse fanfare. « Par-dessus tout la force de la paix intérieure… Triomphe[1] ! — Et voilà le point unique d’où sont tirés tous les arguments qui tendent à faire de la Missa solemnis une œuvre exclusivement humaine, dénuée d’esprit religieux : une messe laïque… « Quoi ! » nous dit-on, « une sonnerie militaire, et deux fois répétée, encore ! C’est un opéra ; cela n’a rien à voir avec la religion… » Et il n’en faut pas plus pour faire coller sur la Messe en ré l’étiquette areligieuse !… Raisonnement aussi juste que celui qui consisterait à arguer des chants d’oiseaux de la Symphonie pastorale pour nier dans cette symphonie le sentiment intérieur de la nature : Empfindung, comme dit Beethoven, et pour en faire une œuvre de description pure. Toujours l’antique sophisme consistant à prendre la partie pour le tout. Et en quoi, pour parler net, cet épisode d’un appel de guerre, cédant, après un court mais âpre combat, à une ardente prière, porterait-il atteinte à l’esprit religieux de la Messe ? Mais, cette lutte contre la Haine intérieure, destructrice de toute paix, lutte que la IXe Symphonie nous a déjà décrite presque dans les

  1. a et b Écrit de la main de Beethoven sur ses esquisses.