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LUDWIG VAN BEETHOVEN

parmi les hommes. Ici-bas, chacun est appelé à faire l’épreuve de ses forces ; en d’autres termes, chacun doit persévérer jusqu’au bout sans murmurer, et toucher du doigt son néant, afin de reconquérir l’état de perfection dont le Très-Haut veut nous laisser le mérite. »

Cette lettre, de 1816, à Mme d’Erdödy, nous en apprend assez sur ce qui vient de se produire dans l’existence du maître. À l’appel de son frère mourant, Beethoven a répondu sans balancer. Et pourtant, il n’entend rien à la tenue d’un ménage, rien à l’établissement d’un budget. Quelle folie de prendre à sa charge un enfant de neuf ans ! lui disent ses amis. Et ce sera une lutte de tous les instants avec la mère qui revendique ses droits.

Oh ! cette Reine de la Nuit, « la Jeannette », comme on la nomme dans le monde où l’on s’amuse, de combien d’imprécations ne la chargera-t-il pas, au cours des longues soirées passées dans la famille du maître de pension Giannatasio del Rio ! Là, du moins, on l’écoute, on le plaint. Fanny, la fille aînée, la « mère abbesse », comme il l’appelle, tient la maison, surveille l’hygiène des petits écoliers qui aiment tant à jouer aux boules avec M. van Beethoven. Bonne Fanny ! Son titre d’abbesse la mortifie un peu, car elle a quelques prétentions, et elle admire si passionnément Beethoven ! « Ah ! comment peut-on faire de la peine à un homme pareil ! » gémit-elle sur son journal. « Il est malheureux, et personne pour le consoler ! »

Au reste, pour l’éducation de Charles, Beethoven ne lésine sur rien : « Nous en ferons un artiste ou un savant, pour qu’il vive une vie supérieure, au-dessus