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LE VERGER

détendu au sourire de Louise ? Mais le malheur ne regarde pas toujours le visage et l’âme des gens qu’il frappe.

Jacques lui avait écrit : « À trois heures, à la bibliothèque de l’Institut ». Elle ne savait rien de plus ; elle irait. Et que voulait-il ? Que lui dirait-il de plus que dans ses lettres qu’elle relisait après plusieurs semaines (elle les avait toutes relues le matin même), et qui s’éclairaient chaque fois d’un éclairement nouveau ? Céderait-il à son caprice encore une fois et à ce que Noël appelait sa manie de l’isolement ? Point n’était besoin de recourir à cette passade. Jacques demanderait l’autorisation de garder le silence pendant quelque temps, comme un homme aux prises avec lui-même, et qui s’enferme dans son cabinet de travail après avoir interdit toute violation de son refuge.

Et Louise pensait à son père. Quinze jours avant Pâques, ce vieux chrétien, qui vivait froid et correct devant Dieu, montrait dans son humeur brouillée les sources jansénistes de son éducation religieuse. Par un chef-d’œuvre de politique préventive, Madame Beauchesne épargnait alors les moindres heurts au pied maussade de son mari. Elle avait une fois laissé tomber devant Louise : « Ce n’est rien, il fait ses pâques.» Jacques, lui, n’avait rien de janséniste ; il était capable d’un beau scrupule tout de même et quel sacrifice n’exigerait-il pas pour s’en prouver l’inanité ? Il s’était sauvé au lac des Monts, cet été, sans qu’elle eût jamais bien compris pourquoi. Elle parlait de lui avec Maurice parfois et, au cours d’une conversation à bâtons rompus, elle posait d’un air